5. Visites et procès

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Dans son cachot de deux mètres sur trois, vêtu de haillons et avec pour principale visite celle des rats et des araignées, Kilian put donner toutes ses lettres de noblesses à un art ancien dont il était un fervent pratiquant : la bouderie. Il faisait tellement bien la tête que ses principaux geôliers avaient presque de la peine pour ce pauvre adolescent de quinze ans, accusé du crime le plus effroyable de la création, à savoir prendre du plaisir par un chemin qui n'était pas celui tracé par le seigneur. Et le pire – ce qui expliquait sans doute la rage qui se lisait dans son regard –, c'était qu'il ne s'était jamais prêté à de telles abominations qu'il rejetait lui-même fermement ! S'il avait pu, il aurait fait partie de ceux qui jettent les pierres sur les damnés se balançant au bout d'une corde ! Alors être mis en cage pour ce crime qu'il n'avait pas commis, c'était sans doute la deuxième pire chose qui pouvait lui arriver après le vol d'un baiser par un ignoble petit noble pervers aussi beau que cruel.

Les deux premiers jours, il pleura, autant à cause de la honte que de la nourriture infâme qui lui était servie. Présumé innocent, il était déjà traité comme le pire des criminels. Et de toutes les mises à mort, celle par intoxication alimentaire et destruction des papilles gustatives était sans aucun doute une des pires avec le bûcher, la roue et la noyade. Lui, un sodomite ? Et pire que ça, un de ceux écartant les fesses pour satisfaire le plaisir pervers d'autres dégénérés ? C'était bien là la pire insulte qu'on pouvait lui faire. Jamais, ô non jamais, il n'accepterait une telle infamie ! Même Aronne, ses beaux cheveux noirs, sa classe naturelle et sa façon de dominer excessive pouvaient aller se faire voir. De toute manière, Kilian ne savait même pas pourquoi il passait son temps à penser à cet être infâme, il le détestait, le haïssait et l'abhorrait de toutes ses forces ! Lui, mais aussi sa foutue langue si douce et sucrée et sa suffisance ! Non heureux de lui avoir volé une partie de sa dignité, le bellâtre n'était même pas venu lui rendre la moindre petite visite dans sa cage, comme s'il se moquait de cet oisillon aux plumes dorées qu'il était.

« C'est un salaud, Gabriele, un salaud ! Je suis sûr que c'est lui qui m'a accusé ! C'est un pervers, il doit bien rigoler maintenant ! Il doit se venger car il ne me trouvait pas assez obéissant... Les nobles, vous êtes tous les mêmes, on est des objets à vos yeux, et si jamais on ose pleurer quand vous nous tripoter, vous vous fâchez ! Je le hais, je le hais, je le hais ! Si on me libère pas dans la semaine, je le dénonce ! »

Tous les jours que Dieu faisait, Gabriele était venu voir son camarade, poussant le vice jusqu'à le dessiner de manière provocante devant les gardes. Et tous les jours, Kilian lui sortait le même discours puéril et colérique, ciblant invariablement la même personne, à ses yeux responsable de tous ses malheurs.

« Je t'ai déjà dit qu'il s'excusait ! Et c'est normal qu'il ne vienne pas te voir, dans l'acte d'accusation, il est marqué qu'un témoin t'a vu embrasser un garçon, et suppute qu'ensuite, tu t'es offert à lui. Là, t'as toute la ville qui cherche celui qui t'aurait offensé... Tu penses bien qu'il ne va pas crier sur tous les toits qu'il est coupable de sodomie ! Tout cela le rend furieux d'ailleurs, il m'a encore dit hier que jamais il ne t'avait fait ce genre de choses, même s'il ne nie pas le baiser. En tous cas, il faut éviter à tout prix que son nom soit cité dans l'affaire, cela serait catastrophique pour sa famille ! Déjà que pour la mienne, avoir un serviteur accusé d'une telle hérésie, ça la fout vraiment mal... Ma mère pense que tu devrais plaider coupable en espérant que tu ne t'en tires qu'avec une amende qu'elle accepterait de payer, mais cela te forcerait à donner le nom de ton partenaire, ce qui nous mettrait mal avec la famille Ariane, malgré mes tentatives de rapprochement... Tu nous enquiquines, Kilian ! Les juges ne supportent pas ton déni ! Je sais que tu risques la peine de mort et que ce n'est pas cool pour toi, mais tu pourrais y mettre un peu du tiens. Tu peux d'ailleurs très bien accuser cet imbécile d'Adriano de t'avoir violé ! Ça arrangerait tout le monde, ma famille, celle d'Aronne et tous ceux qui détestent ce petit con ! Et je te promets, quoi qu'il arrive, on te fera une sépulture chrétienne ! »

SalaïOù les histoires vivent. Découvrez maintenant