6. Pour quelques florins d'argent

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Durant les quelques jours qui suivirent le procès, la vie reprit son court de manière normale dans l'atelier de Leonardo Da Vinci. Les commandes affluaient, la Cène prenait forme, les apprentis s'affairaient à la réalisation de menus travaux et Mathurina s'occupait du ménage et de la nourriture, à la plus grande joie des gourmands et des gourmets. Les portraits des deux enfants Ariane, réalisés par les meilleurs élèves du Maestro, étaient bien avancés et ne nécessitaient plus que quelques retouches. Ce fut à cette occasion qu'Aronne remis les pieds à la bottega, pour la première fois depuis l'arrestation de Kilian, étrangement absent. L'adolescent en avait en effet profité pour fuir les lieux et accompagner Leonardo au couvent Santa Maria delle Grazie de Milan afin de lui tenir ses pinceaux.

« Piccoscio n'est pas là ? »

L'air déçu, le jeune noble se rendit à l'évidence. Le stupido bionda n'était caché dans aucun coin ni recoin, ce qui ne pouvait que lui provoquer d'intenses soupirs. Une voix qu'il connaissait bien, celle de Gabriele, lui confirma malheureusement ce qu'il avait constaté.

« Arrête de l'appeler comme ça, il ne comprend pas ce que ça veut dire et ça l'énerve ! Et non, dès qu'il a appris que tu venais nous rendre visite, il a pris ses jambes à son cou ! Tu lui fais peur. À ses yeux, tu es méchant, vil, pervers, dérangé, cruel, sadique et mignon. Et je crois d'ailleurs que c'est ce dernier point qu'il déteste le plus chez toi. »

Cet idiot de Kilian était vraiment adorable. Crétin, mais adorable. Pourtant, il fallait se rendre à l'évidence, Aronne lui avait trop nui pour qu'une quelconque amitié soit possible. En le forçant à échanger un moment intense, il l'avait blessé et, pire, l'avait contraint à un séjour des plus désagréables dans les cachots de la ville. Que Kilian le haïsse autant que lui l'aimait était normal. Subir la colère et le mépris du petit blond était sa punition pour lui avoir fait du mal. Il ne voyait aucun moyen de se racheter, mais ne désespérait pas d'en trouver un. Au moins, il y avait bien une chose qu'il pouvait faire. Non, qu'il devait faire.

« J'ai diligenté plusieurs hommes pour enquêter sur celui qui a osé faire cette dénonciation anonyme. Si je le retrouve, je lui ferais payer de sa vie sa perfidie. Je l'écorcherai vif de mes propres mains et j'enverrai sa tête en guise de présent à Kilian pour m'excuser. Et toi, tu en feras un dessin. »

Même si les menaces semblaient légèrement exagérées voire disproportionnées – tuer un homme, c'était mal, et même Aronne le savait –, son regard affichait une certaine sincérité et détermination. Peut-être que le brunet n'aurait pas torturé le pauvre inconscient de lui-même, mais sa colère était sincère. De l'avis de Salaï qui passait par là, cette attitude faisait plus penser à un sale gosse, furieux qu'on ait osé abimer un de ses jouets, qu'à de l'affection sincère. Cette petite réflexion, envoyée à la tête d'un noble et client de surcroit, faillit se régler avec les poings. L'intervention de Luca et d'autres élèves empêchèrent heureusement Aronne de bondir pour indiquer au petit diable qu'il aimait le plus sincèrement possible son « jouet », qui d'ailleurs ne lui appartenait pas tant que ça, à son plus grand désarroi. Ne pouvant prouver son honneur et sa franchise avec des gestes, il utilisa à la place l'arme des riches, en criant au milieu de l'atelier.

« Moi, Aronne Ariane, fils et héritier légitime du Marquis Gerald Ariane, j'offre cinquante florins d'argent sur ma cagnotte personnelle à celui qui me livrera le nom du dénonciateur de votre stupido bionda ! Et faites que tout Milan soit au courant de ma détermination à retrouver cet inconscient et à lui faire payer sa turpitude ! »

SalaïOù les histoires vivent. Découvrez maintenant