Chapitre 2

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Je fus réveillée à cinq heures du mat' par des bruits de voix. Ma mère ronflait dans sa chambre. Jacky venait de rentrer et discutait avec Sami, son copain depuis le collège. Leur ton semblait à la fois excité et effrayé. Je tendis l'oreille dans un demi-sommeil :

— Tu crois que ça va marcher ?

— Ouais, mec, on va être riches ! Fini les deals de minable.

— Mais la coke, c'est autre chose, tu te rappelles comment Marc s'est fait pécho ?

— Ouais, mais tu gagnes pas de thune si tu prends pas de risques. On va être des pros...

— Et Walid, il en pense quoi ?

Là, je me réveillai complètement. Walid s'occupait de la coke sur Maubeuge. Ses gars, c'étaient de vrais durs, des qui ne faisaient pas semblant, comme mon frère. Ils avaient des flingues. Walid, il avait déjà fait de la taule.

— Il sait pas, bien sûr, déclara Jacky d'un ton faussement dégagé.

— Moi, je crois qu'il se doute de quelque chose. L'autre fois, il est venu me voir et il m'a dit "Sami, t'es un malin, alors tu restes au chaud et tu fais pas de conneries. Tu laisses les grands jouer entre eux."

— T'inquiète. Ethan, il est plus malin que Walid. Il a un plan. On a déjà le matos, regarde !

Il y eut une courte pause et j'entendis :

— Putain, un flingue !

— Chut !

— Et... Tu sais t'en servir ?

— Ouais, il m'a montré. C'est pas dur.

Je restai dans mon lit sans bouger, respirant à peine, tandis que j'entendais mon frangin se déshabiller et se mettre au lit après le départ de Sami. Ainsi, Ethan allait vendre de la coke, entrer en concurrence avec Walid et embarquer Jacky avec lui. En plus, il avait prévu que ça allait se passer mal, puisqu'il avait déjà des armes. J'aurais dû être contente pour eux. L'homme de mes rêves allait devenir un big boss et Jacky gagner de la vraie thune. Cependant, quelque chose me dérangeait. La vie allait devenir plus compliquée. Walid ne se laisserait pas faire comme ça. Cependant, je n'envisageai pas d'agir. De toute façon, si j'en avais parlé à mon frère, il m'aurait simplement collée une baffe. Ma mère, elle, me traitait déjà de menteuse dès que je lui disais un truc qui ne lui plaisait pas. Quant aux flics, l'idée de les appeler ne m'effleura même pas. Pour moi, c'étaient des aliens. Ils auraient coffré Jacky, ses copains m'auraient massacrée, ma mère ne m'aurait plus jamais regardée et Ethan m'aurait méprisée. Mais c'était un garçon intelligent, tentai-je de me rassurer. Jacky non plus, n'était pas totalement idiot. Ils avaient certainement pesé les risques et prévu des solutions.

Je retournai le problème dans ma tête sans succès. Finalement, mon réveil sonna et je sortis du lit. Ma mère ne se lèverait pas avant neuf heures et Jacky, pas avant midi. J'allai chercher le pain, mis la table du petit-déj', sortis les croquettes de Patapouf et démarrai la machine à laver, puis fis un petit coup de ménage. Enfin, je descendis à la station de bus, sous un ciel brouillé. Au passage, je pris un sandwich, une barre de Mars, une canette de coca et des chips, ma contribution au repas commun de midi. En faisant la queue au comptoir de la supérette, mes yeux tombèrent sur la première page du Monde que tenait une vieille dame un peu prétentieuse devant moi :

Poursuite des massacres au Rwanda

Une centaine de personnes accusées de sorcellerie dont plusieurs enfants ont été brulés vifs hier à Kigali. Plusieurs milliers de réfugiés ont franchi la frontière de l'Ouganda depuis le début de la "Chasse aux Sorcières" prêchée par l'Église Mystique du Progrès...

NéosorcièreOù les histoires vivent. Découvrez maintenant