Chapitre 6 : "Claque, claque joli feu".

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- Agnia, il y a une grosse trace de feu dans le jardin. T'as brûlé quoi pour que ce soit si énorme ? ... Oh Putain, Agnia, t'es ou ?

La voix paniquée, une inquiétude sourde lui prend le ventre. Il n'a fait que quelques pas dans la maison et pourtant, cela suffit à comprendre l'importance de la situation. Les pièces sont dévastées. La vision doit être un peu étrange, des murs relativement impeccables entourant un sol apocalyptique.

Agnia n'a finalement jamais ramassé la tasse à l'entrée, ni nettoyé. Au contraire, d'autres objets ont rejoint le sol. Après l'entrée avec la tasse, elle a accroché une longue ficelle traversant les pièces, sur lequel elle a positionné les photos, qu'il puisse les admirer tant qu'il le souhaite. Juste derrière elle a balancé les objets qui ont construit leur histoire, photos, objets de toutes sortes, vases et fleurs offertes, une statue achetée ensemble en vacances. Ah oui, elle a fendu la table basse à coup de hache. Les coussins du canapé sont carbonisés, mais elle a pris soin de les retirer du feu à temps pour les remettre à leur place initial mais dans état si lamentable qu'ils sont totalement inutilisables. Elle en a fait de même pour les vêtements qu'il porte sur les photos, sa chemise qui n'est plus du tout blanche est sur le chemin qui le sépare d'Agnia. Mais il n'est pas entré par la porte principale. Il est passé par le jardin puis la porte-fenêtre de la salle, ratant quelques détails.

Il s'approche, doucement, de la femme qu'il a trahie et qui est tranquillement installée par terre, au milieu de ce bordel ambiant, en train de regarder la télévision. Sous elle s'étend le tapis noirci et troué. Un tapis qu'ils ont payé une fortune et sur lequel ils ont pris du plaisir un nombre incalculable de fois. Complètement détruit, bon à foutre en l'air. Elle n'a pas eu le temps de le brûler autant qu'elle l'aurait souhaité donc elle l'a terminé en l'aspergeant de javel.

- Agnia, mais qu'est-ce qui t'a ...

Un bruit de chute l'interrompt. Ça vient de la cuisine. Il s'y précipite, livide. Elle hausse les épaules, quelle importance ? Ça ne tombera pas plus bas.

Dans la cuisine il va trouver des restants de bois cramée, en provenance de leur ancienne table, le réfrigérateur explosé. D'ailleurs, ça doit être lui qui est tombé, Agnia s'interroge un instant, elle n'en est pas sûre de l'équilibre dans lequel elle l'a laissé. Le joli tableau chiné ensemble est dans l'évier, c'est la première chose qu'elle a brûlé et elle a failli se faire mal ; elle a dû le balancer dans l'évier et éteindre le feu avec le robinet. C'est à ce moment qu'elle a compris qu'il serait plus simple d'allumer un grand feu dehors et de brûler tranquillement meubles, vêtements et objets les uns après les autres, en surveillant avec attention la cuisson.

Il faut avouer que la rage qu'elle a éprouvée lui a apporté beaucoup de satisfaction à ce moment-là. Elle a particulièrement aimé voir les flammes monter peu à peu, en fonction de ce qu'elle balançait pour l'alimenter. Lorsque le feu léchait les objets qu'elle jetait, il lui était difficile de retirer à temps l'objet tant le spectacle l'hypnotisait. D'ailleurs, elle n'a pas tout retiré du feu, beaucoup de choses y ont péri et disparu à jamais. Les flammes montaient sur l'objet, des morceaux du lit en bois par exemple. Le feu a dû l'attaquer à plusieurs endroits pour l'avoir, la lutte a été intense et le lit a finalement perdu. En revanche, le matelas a été merveilleux. Au début il a failli faire crever son feu et elle a cru devoir hurler sa haine en se jetant dessus pour lui faire elle-même la peau. Mais après quelques rasades d'essence, un beau VOOUFF s'est fait entendre et il s'est embrasé. Son magnifique feu a pris vie, et s'est développé. Son cœur en était rempli, elle eu l'impression de le sentir brûler en elle, dans son ventre, dans son esprit, dans ses yeux, sa bouche. Elle en était si proche. Il lui a semblé qu'elle ne faisait qu'un avec le brasier. Elle s'est consumée en même temps que lui.

C'est à ce moment que son voisin lui a crié dessus, l'informant que c'était illégal, qu'elle empestait tout le quartier et que, si elle ne mettait pas fin à son feu, (enfin plus précisément « si vous n'arrêtez pas votre bordel puant ») il appellerait la police. Ce à quoi Agnia a répondu plus ou moins aimablement qu'elle n'avait pas fini (« va te faire foutre »), puis elle a ressorti le matelas et continué.

Aydan ne revient pas. Il doit faire le tour de la maison. Constater les dégâts.

La chambre... Elle a eu un mal de chien. Elle voulait brûler tout le lit mais il était tellement lourd qu'elle a finalement utilisé la hache pour l'encadrement en bois (c'est ce qui lui a d'ailleurs donné l'idée pour la table basse), ensuite elle a trainé le matelas qu'elle a balancé par la fenêtre. Puis elle l'a regardé brûler longtemps. Le faire re-rentrer a été long aussi, il a fallu attendre qu'il refroidisse un peu. Elle a eu du mal à le ramener et a laissé pas mal de traces noires sur le sol et les murs de la chambre.

Les vêtements, les photos, les meubles ont suivi. Et son jean à la con qui lui fait un « cul d'enfer».

La salle de bain ne devait pas subir trop de dégâts au début, elle n'est pas sur la liste des lieux utilisés. Il n'y a que sa chemise bleue à carreaux qu'elle a découpée et mixée avec ses bananes et sa pâte à tartiner. Elle a tout balancé dans le lavabo. Mais en redressant la tête, elle s'est vue dans le miroir et toutes les images du passé ont ressurgi, toutes les fois où ils ont fait l'amour ici, où il lui a murmuré des mots doux, la fois où il l'a demandé de l'épouser. Alors elle a vu dans le miroir son regard, elle a senti la colère, la violence en elle monter à l'assaut. LE BESOIN de détruire est revenu, violent. Elle est allée chercher la masse dans le garage, elle est revenue, a fermé les yeux, juste pour sentir cette rage prendre possession d'elle et l'envelopper toute entière ; lorsqu'elle a ouvert les yeux, le mouvement s'est amorcé et elle a explosé le miroir et la jolie chaise en bois. Elle les ai ensuite regardés brûler, en entier.

Naturellement, divers objets trainent de-ci-delà au sol dans le couloir et les pièces, selon l'inspiration, telle que la photo de mariage qu'il a tenu à mettre dans la salle de bain, des parfums, à lui comme à Agnia, ça n'a aucune importance.

Lorsqu'il revient, il s'assoit par terre à côté d'elle, contre le meuble-télé. Il lève le bras pour l'éteindre.

Ainsi, ils restent de longues minutes sans parler. Sa main descend lentement lui caresser les cheveux, puis descend en douceur sur sa joue jusqu'à frôler ses lèvres. Agnia entrouvre légèrement la bouche, il y glisse naïvement un doigt qu'elle mord jusqu'au sang. Un grognement de douleur lui échappe. Il saigne un peu.

L'incendieOù les histoires vivent. Découvrez maintenant