Chapitre 1

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Jade

Tout a toujours été comme ça. Je n'ai jamais eu de dérapage ou de fausses routes dans ma vie. Tout a toujours été tracé pour moi, depuis de je suis petite. Je n'ai jamais rien voulu d'autres que ce qui a été décidé pour moi, je n'y ai même jamais songé. Je viens d'une famille assez stricte et sûre d'elle. Mon père tient un hôpital. Je suis interne dans l'un de ses services. Je jongle entre mes études en médecine et mes gardes à l'hôpital. Je suis dans le Service de réanimation neurochirurgicale. Ce service est concentré sur les traumatismes crâniens, les comas et tout ce qui touche la tête des patients. C'est un service intéressant et parfois difficile à gérer psychologiquement. Apercevoir les familles pleurer devant leur proche est parfois difficile, annoncer à des parents qu'on va débrancher leur enfant est la pire des choses à faire pour ma part. J'ai dû le faire une ou deux fois depuis un mois que je suis ici et je ne m'y fais toujours pas.

Aujourd'hui, mon père nous présente un nouveau patient à l'équipe d'interne et moi-même. Dans le vestiaire, on est tous excité de découvrir cette nouvelle personne. Pour les autres, ce ne sera sans doute qu'un numéro de chambre supplémentaire à gérer, pour moi, c'est une nouvelle vie à sauver. Lorsque je suis changée, je me glisse dans l'ascenseur pour rejoindre mon service, au cinquième étage de l'hôpital. Ce matin, à huit heures, le trajet jusque là-haut me semble bien long. Je ne sais pas si c'est l'angoisse de découvrir un nouveau patient ou le fait de voir mon paternel aujourd'hui. Je ne le vois que rarement ses derniers temps. A 24 ans, je suis particulièrement indépendante de mes parents. Lorsque l'ascenseur ouvre ses portes, je me faufile dans les couloirs de l'étage, et me dirige vers la salle de soins pour aller aux transmissions. Les médecins y sont déjà, et mon père également. Tous semblent obnubilés par la présence de mon père dans le service. Pourtant, je ne vois pas ce qu'il y a de si exceptionnel. Il me remarque, je lui souris timidement et il s'approche pour m'embrasser le front.

- Bonjour, ma fille !

- Père.

- Tu es la première interne déjà là.

Il dit cela comme si ça l'étonne. Ça arrive très souvent que je sois la première arrivée pour les transmissions. Je hoche simplement la tête et me tait simplement. Je me trouve un ordinateur de libre et ouvre mon compte DPP, Dossier Patient Partagé, et y ouvre la liste de mes patients en charge ce matin. Je remarque un nouveau nom, que je ne connaissais pas. Jusqu'à maintenant, je connais chaque nom de chacun de mes patients. Celui-là, en revanche, m'est inconnu. Thiefaine Santos. Je fronce les sourcils.

- Le patient que je compte vous présenter aujourd'hui sera le tien.

Je sursaute à la voix de mon père. Je lève la tête vers lui, il me dévisage et je rougis derrière mes lunettes noires.

- Pourquoi moi ? Murmurai-je doucement alors que la salle commençait à se remplir d'interne.

Il me fait une sorte de clin d'œil et désintéresse de moi pour se tourner vers les internes au complet. Je ferme rapidement ma session et me lève du tabouret pour me cache derrière cette bande de blouse blanche. Mon père commence son discours quotidien quand il passe voir ses employés, je reconnais que je ne trouve pas ça très intéressant. Je regrette de ne pas avoir eu le temps de lire la démarche de soins de Thiefaine. Je ne sais même pas quel est son problème. Pourquoi peut-il être dans ce service ? J'ai hâte d'aller dans sa chambre pour savoir à quoi il peut bien ressembler. Je sors de mes pensées lorsque Fréderic Johansson, mon cher père, nous demande de le suivre. On le suit tel un troupeau de mouton, aucun murmure ne se laisse entendre, seulement le bruit de nos crocs dans les couloirs. Mon père s'arrête devant une porte, il y passe son badge et nous entrons. Il y a un goût de menthe qui inonde déjà mes narines. Je pénètre dans la chambre en dernière, non pas que je sois contre, mais plutôt car j'appréhende la réaction des autres quand mon père annoncera que ce patient est le mien.

- Mes chers internes, voici Thiefaine Santos, un cas extrême. Il a fait une chute de moto suite à un accident de la route. Il a de graves séquelles physique et psychique. Il est plongé dans un profond coma de stade 4.

Le stade 4 est le plus important. On l'appelle aussi le « coma dépassé » car ce n'est en fait pas un véritable coma, mais un état de mort cérébrale, dans lequel les autres fonctions vitales (respiration, circulation) ne sont maintenues que par des moyens artificiels, de grosses machines reliés par des fils à son corps.

- Il est né en 1991. Il a des liens familiaux difficile, ses parents sont divorcés et se sont remariés chacun de leurs côtés.

Il a 26 ans, donc seulement deux ans de plus que moi. C'est horrible d'être dans un tel état alors qu'on est si jeune. Je me mordille la lèvre, j'aimerai voir à quoi il ressemble. Mais d'où je suis, entre l'encadrement de la porte et Tom, je ne vois strictement rien d'autre que des blouses blanches. C'est l'inconvénient de mesurer qu'un mètre soixante-deux.

- Que pouvez-vous constaté sur ce numéro ?

Ce numéro, a-t-il dit. Je haie quand il fait ça. J'aurai honte à sa place de parler ainsi de quelqu'un qui, est juste à côté de moi, et qui peut éventuellement nous entendre.

- Je pense qu'il est foutu, Monsieur.

C'est Brad qui vient de dire ça. Je respire fortement, je serre les poings, je me retiens de ne pas exploser ma colère devant tout le monde et surtout devant Thiefaine.

- Je ne suis pas d'accord.

Tout le monde pivote vers moi, je déteste que l'attention soit focalisé sur moi, mais maintenant que j'ai exprimé mon ressenti, je ne peux plus faire marche arrière. Je dois me lancer et développer.

- Il y a un espoir dans chacun des patients de cet étage, dis-je doucement.

- Vraiment, Mademoiselle Johansson ?

Je hoche la tête en regardant mon paternel droit dans les yeux. Je me pince les lèvres, j'espère ne pas l'avoir mis en colère ou ne pas lui avoir fait honte.

- Qui partage son opinion ?

Ils se dévisagent tous les uns entre les autres. Je baisse la tête en serrant mon calepin contre ma poitrine. Ça m'apprendra à l'ouvrir quand on ne me le demande pas.

- Bien. Puisque personne ne partage vos pensées, ce patient sera le vôtre. Cela vous permettra de prouver à tout le monde, dans cette pièce, que ce que vous confirmez est vrai.

Des bavardages s'engagent entre les internes. Ils ne prêtent même plus attention à mon père. Il semble s'en apercevoir et en profite pour me glisser un petit sourire. Je crois qu'il n'y a que lui et moi que ça ne surprend pas. Il tape doucement dans ses mains pour avoir l'attention de tout le monde à nouveau.

- Maintenant sortons et mettons-nous au travail.

Ils obéissent tel des petits chiens en ruent. Il me bouscule et pourtant mes pieds ne se décollent pas du sol. Ils me passent tous à côté comme si j'étais transparente. La chambre se vide rapidement jusqu'à ce que je me retrouve seule avec mon père. Il pose la paume de sa main sur mon épaule pour me rassurer.

- Tout ira bien. Ta mère et moi sommes certains que tu t'en sortiras parfaitement bien avec ce cas.

Je lâche simplement un soupire en hochant la tête. Ils croient en moi, et les décevoir me tuerait. Il sort de la chambre. Je m'approche doucement du lit et découvre enfin le bel inconnu endormi. Je pose le calepin sur sa couverture. L'odeur de menthe persiste et je sais maintenant qu'elle vient de lui. Mon dieu qu'il est beau. Ses cheveux blond lui retombent sur le front, son début de barbe sur le menton, ses lèvres pulpeuses fermaient, ses yeux clos.

- Et bien, Thiefaine Santos, ravie de te rencontrer enfin.

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