La mort. Elle. Seulement elle.

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La mort. Elle rôde, partout, tout le temps, de plus en plus proche, plus vicieuse, plus insidieuse. Sans arrêt. Elle est si proche, trop proche. Et depuis quelques semaines elle est entrée dans ma vie. Je l'ai à peine vu s'approcher, que déjà elle passait à l'action. D'abord sa mère.

Elle m'a appelé pour me le dire. La seule réaction que j'ai eu fut de ne pas en avoir; je me suis figée, sans savoir quoi dire, quoi faire, quoi lui répondre. Je n'ai rien dit. Rien du tout.

L'enterrement a été terrible. Je la voyais, elle, si forte, et moi qui était sensée la soutenir... J'étais effondrée. Terrassée. La mort m'avait envoyé à la figure tout ce que je redoutais tant, avec une violence inimaginable. J'étais détruite, absente. Je comptais les carreaux sur le sol de l'église, je récitais ma table de 49 pour me retenir de hurler. De hurler cette horreur dans laquelle j'étais plongée, hurler la douleur de tous ces gens autour de moi, hurler pour oublier le visage de ma mère en larmes. Hurler pour me libérer, d'un anéantissement dont je ne me sentais pas légitime.

En me levant pour aller au-devant de l'autel, je ne l'ai pas prise dans mes bras. C'est elle qui l'a fait. Elle m'a chuchoté que ça irait. Elle me consolait de la mort de sa propre mère. Ma meilleure amie me consolait de la mort de sa mère. C'était insensé, irréel. J'ai effleuré le cercueil, je l'ai regardé un instant, un court instant insupportable tant la douleur était grande, et j'ai fui. J'ai fui de cette église, de ce cauchemar, j'ai rejoint mes amis, j'ai ravalé mes larmes et je suis retournée au lycée. Et c'était fini. J'ai préféré ne plus y penser. Effacer ces instants de ma mémoire, les enterrer au plus profond de moi. Et alors que j'écris ces mots, la musique est passée au hasard sur un morceau. Le morceau de piano qui avait été choisi pour l'entrée du cercueil dans l'église. Et tout ressurgi précisément dans mon esprit, et la douleur est la même, et ma tristesse me déchire la gorge, et encore une fois j'essaye de l'enfouir. J'essaye d'écrire pour passer à autre chose.

Mais ce n'était pas tout. La mort n'avait pas fini son œuvre. Elle était là, elle avait commencé son travail, s'était reposée un bref instant, pour encore mieux repartir.

Ca faisait un mois qu'il avait disparu. Un mois. Les avis de recherche avaient circulé de partout, tous les élèves étaient au courant. On disait que ça craignait, on n'en parlait pas vraiment, mais personne n'avait vraiment réalisé ce que ça signifiait. Puis j'ai appris la nouvelle. Qu'on avait retrouvé son corps. Son corps, et pas lui, seulement un corps, seul, sans vie, détruit.

Tout d'abord il y a eu le choc, le choc de cette nouvelle inhumaine, le choc d'apprendre la mort d'un de mes camardes, de tout juste dix-huit ans. Le choc, violent. Mais la tristesse ne m'a pas heurté, du moins pas comme je l'attendais. Je pensais que je serais abattue par son décès, mais il n'en fut rien. Ce n'est pas sa mort qui m'a affecté, je ne le connaissais pas. Ce sont ses amis qui m'ont terrassé. Tous ces gens, toujours en train de hurler, de se bousculer dans les couloirs, toujours en train de foutre le bordel, toujours en train de rire. De rire. Ils étaient effondrés, dans les bras les uns des autres, pleurant, frappant, complètement brisés. Leurs visages déformés, leurs regards vides, fantomatiques, leurs étreintes vaines pour atténuer la douleur. Le lycée était devenu un lieu morbide, en quelques minutes, et dans chaque recoin se trouvaient des gens choqués, effondrés, des gens vidés. Seuls. Terriblement seuls.

Et c'est ça qui m'a heurté. La mort qui me riait au nez à travers les autres, emportant avec elle des parcelles de chacune de ces personnes. On aurait presque pu voir des miettes de leurs âmes s'envoler au-dessus d'eux. Ils étaient presque aussi morts que lui. Presque.

Enfin. La mort semble très présente en ce moment. Trop. Mais qu'est-ce que j'y peux moi, si nos routes se croisent aujourd'hui ? Parce que ça n'est certainement pas la dernière fois que ça arrivera. Et chaque fois, ce sera aussi douloureux, si ce n'est pire.

Et elle est là. Et elle m'attend.

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