Seul

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PDV Eren:

Ses mains douces m'attirent, mais je ne peux rester avec lui.
Je ne veux pas être un handicap pour lui. Pourquoi m'a-t-il suivi jusqu'en Angleterre, alors que je suis allé jusqu'au bout du monde pour ne plus être un poids pour lui?
-"Levi... Pourquoi es-tu venu ici?"
-"Tu le sais très bien. Cette année sans toi a été un enfer. Accepte-moi à nouveau dans ta vie! Et je sais aussi que tu as besoin de moi, Eren."
Je lui prend ses mains, que je caresse du bout des doigts.
-"C'est faux. Mikasa s'occupe très bien de moi. Je ne supporterais pas de te priver de la vie que je ne peux t'offrir. Regarde comme je t'ai déjà suffisamment fait souffrir..." Mes doigts remontent sur ses poignets et caressent les cicatrices ancrées dans sa peau d'habitude si douce.
Il retire ses mains et je l'entends reculer sur son siège.
Je sens ma respiration s'accélérer. Il vient de me retirer le réconfort que j'avais à le sentir près de moi.
Je suis tellement faible... À peine je le retrouve que je suis déjà dépendant de lui. Je l'ai toujours été, accroché à lui comme à une bouée de sauvetage, mais, bien sur, ce sentiment a été accentuer lorsque j'ai perdu la vue.
Sa voix m'apaise, il est le seul qui peut me toucher sans que ça me dérange, et seule son odeur m'est agréable.
Je l'entends soupirer.
-"Laisse moi au moins te ramener chez toi. Et de toute façon, je ne peux pas rentrer tout de suite."
Je soupire à mon tour. Il est toujours aussi borné. Malgré moi, je suis rassuré de ne plus avoir à affronter la foule seul.
Je me lève, et retourne sur mes pas, en direction de la sortie. Je ne suis pas encore réellement habitué pour tout, mais je sais maintenant emprunter deux fois le même chemin.
J'entends le grattement de la chaise que Levi remet précipitamment en place et il accélère.
Il m'attrape le bras brusquement. Je fronce les sourcils. Je n'aime pas qu'on me serre aussi fort, ma peau est extrêmement sensible à chaque toucher.
Il semble avoir senti mon sursaut et lâche prise, passant son bras sous le mien. Il me guide et me dit qu'une voiture l'attend près d'ici.
Je sens à nouveau l'angoisse de la foule me prendre, et je me colle un peu plus à Levi.
Je sens son souffle sur mes cheveux, m'indiquant qu'il a tourné la tête vers moi.
Il me guide à travers les gens, notre démarche en cadence me semble aussi naturelle que si nous ne nous étions jamais quittés.
Soudain, il s'arrête, et me dit que nous sommes arrivés.
Je pose la main sur la carrosserie de la voiture, et entre rapidement.
Levi s'assied à côté de moi, et me demande mon adresse que je dicte au chauffeur.
Je remarque, au roulement silencieux, au confort des sièges et simplement au fait qu'il ait un chauffeur, que Levi est toujours aussi riche.
Il est, du moins était, dirigeant d'une grande entreprise de trains américains. Ce qui nous a d'ailleurs valu de nous rencontrer, car j'étais employé dans cette entreprise.
J'arrête vite de repenser à cette période de ma vie. Je ne dois plus repenser à mon passé, et me concentrer à reconstruire mon avenir.
Nous restons silencieux, et arrivons, au bout de quelques minutes, à l'endroit où je vis.
C'est un immeuble respectable, où se trouve mon petit appartement.
J'ai refusé de vivre dans un centre de non-voyant. Je sais que je n'aurais pas supporté de perdre tout ma liberté. J'ai besoin de me sentir un minimum capable d'autonomie, même si j'accepte le fait que j'aie besoin d'aide pour énormément de choses.
C'est d'ailleurs ce besoin d'autonomie qui m'a poussé à continuer d'avancer. Je réapprends à vivre sans mes yeux, dans l'espoir de pouvoir vivre un jour sans l'aide de personne.
Je guide Levi jusqu'à mon appartement, car je connais la route. Les gens de mon immeuble sont pour la plupart très gentils, et me proposent toujours leur aide.
Je prends mes clés et ouvre la porte. Nous entrons, et je le sens inspecter les lieux.
Mon appartement ne comporte pas grand chose, et doit lui paraître bien triste.
Je l'entends se diriger vers un coin de la pièce, et soulever un objet.
-"Pourquoi tu es parti sans ta canne?" demande-t-il
Comment lui expliquer que j'ai été pris d'une de mes nombreuses crises, et que j'ai fuis le plus rapidement possible ce lieu sinistre.
Je n'aurais pas supporté de devoir utiliser cette canne d'infirme, à ce moment là. Chose stupide, étant donné la deuxième crise qui m'a prise, les gens ne reconnaissant pas un aveugle sans canne. Ça m'apporte un certain réconfort, de ne pas sentir mille regards plein de pitié, et de savoir qu'ils ne voient qu'un homme portant des lunettes de soleil.
Mais, d'un autre côté, les passants me bousculent comme si j'étais une personne voyante, et aller en ville sans canne m'est impossible. Je le sais, mais dans mes moments de faiblesse, je n'accepte pas cette évidence.
-"Je l'ai oubliée." je réponds simplement, "Tu peux t'en aller si tu veux, Mikasa devrait arriver dans peu de temps."
-"Je reste encore. Et puis, je n'ai nul part ou dormir."
Je soupire bruyamment. Comme s'il n'avait pas assez d'argent pour se payer un hôtel. Je le lui fais remarquer, et il répond que j'ai raison, un sourire dans la voix.
Je me demande comment il arrive à sourire. Voilà longtemps, un an pour être précis, que je ne souris plus.
Il doit se sentir obliger de sourire à ma place, car avant c'était lui qui souriait le moins. J'étais le seul à savoir lui arracher un rire.
Mais bon, je lui suis reconnaissant de ne pas s'effondrer devant moi. Je dois déjà assez lutter constamment pour tenir sur mes jambes.
Je me dirige vers le frigo, et lui sers un verre de rosé, en mettant plein à côté, car je sais qu'il aime ça.
Je le lui apportais précautionneusement, mais il me dit;
-"Je ne bois plus."
Cette réponse m'agace. Serait-ce encore à cause de moi si il ne boit plus? Lui qui aimait tellement boire après un bon repas, malgré la gueule de bois que ça lui procurait.
-"Bois-le, que j'aie pas galéré à te le servir pour rien."
Il soupire bruyamment, et boit.
Je m'assieds sur un fauteuil en face du canapé sur lequel il est assis.
Le savoir près de moi me remplit d'angoisse, de bonheur et de doute.
Cette année est passée à une vitesse folle, mais il m'a énormément manqué.
Si je l'aime toujours ? Oui. Bien sur.
Le quitter a été la décision la plus difficile de ma vie. Mais c'est toujours nécessaire, pour lui.
-"Je peux voir le reste de ton appart?" demande soudain Levi.
-"Vas-y. Je te laisse visiter, j'suis fatigué."
Il quitte le salon, et je me lève de mon siège.
Je trouve la poignée de la commode en dessus de la cuisinière, et l'ouvre.
Je prends mes médicaments, un verre d'eau.
J'avale mes pilules une par une.
Antidépresseur, anxiolytiques, antimigraineux, et plusieurs autres vitamines pour combler mon manque d'exercice.
J'avalais ma dernière gorgée lorsque j'entends Levi revenir. Il voit tous mes médicaments.
Je le sens être gêné et inquiet face aux étiquettes que portent mes médicaments.
Je range précipitamment les boites. Alors que je n'ai pas honte outre mesure de mon traitement, je ne voulais pas qu'il voie ça.
Et puis merde. A quoi pouvait-il s'attendre d'autre ? Tant pis s'il sait que je suis en dépression, et que je souffre de crises d'angoisses, ça n'est pas quelque chose d'étonnant.
J'entends la sonnette de la porte retentir, faisant sursauter Levi et moi.
Je vais ouvrir, et laisse entrer Mikasa, qui ne semble pas si étonnée de la présence de Levi.
-"Levi! Je suis contente que tu soies là!" elle s'exclame
Bien sur qu'elle est contente. C'est surement elle qui lui a dit de venir. Elle n'a pas arrêté de me dire que j'avais besoin de lui, et que Levi devait être triste sans moi.
Je dis en soupirant:
-"Mikasa, tu savais que je n'avais pas envie de le revoir."
-"Mais... J'ai pensé que ça te ferais du bien de voir un visage familier."
Je soupire davantage, et vais m'asseoir encore une fois.
J'avoue être exténué. Les deux crises de tout à l'heure m'ont vidée de mes forces.
Et puis, je suppose que c'est grâce à Mikasa que Levi a pu me trouver. Je ne lui en veux pas tellement.
Elle du le deviner, car elle demanda sans plus tarder;
-"Vous voulez que je vous laisse ou vous avez besoin de quelqu'un pour cuisiner?"
J'aimerais être seul avec Levi. De tout mon coeur. Je n'ai pas eu l'occasion de toucher son visage, seule façon que j'ai de me remémorer exactement les traits d'une personne.
Et puis, nous avions passé quatre ans ensemble, toujours collés serrés. Être aussi proche de lui, mais en même temps tellement loin, est étrange.
-"Non, reste." dis-je malgré moi. Je ne dois pas recommencer d'être accro à lui.
Mikasa commence donc à cuisiner, et je reste assis sur le canapé avec Levi.
Il n'a jamais été très bavard, et je n'ai plus grand chose à raconter, donc nous n'échangeons pas beaucoup de mots.
Mikasa nous parle de ce qu'elle prépare à manger, et c'est notre principal sujet de conversation. C'est un thème qui ne met personne mal à l'aise, léger, et dont même un non-voyant comme moi peut parler sans problème.
J'ai envie de retrouver mon Levi. Celui avec qui j'ai passé les plus belles quatre années de ma vie.
Mais nous sommes distants, comme si nous étions de simples connaissances.
Je ne participe plus à la conversation depuis un bon moment. Ils parlent de Levi et son travail.
Ce n'est pas que ça ne m'intéresse pas, mais je tombe de sommeil.
Je sens une main sur mon épaule et sursaute violemment.
-"Pardon, Eren, dit la voix de Mikasa, on va y aller, tu tombes de sommeil. Levi a trouvé un hôtel pas loin de chez toi. Laisse-moi t'amener dans ta chambre."
J'acquiesce, et la laisse me guider, trop fatigué pour me concentrer.
Ils partent, et Levi sort sans un mot.
J'essaie de me dire que c'est mieux si notre relation reste ainsi, tendue et distante, mais je ne peux m'empêcher d'être déçu.
Il me manque beaucoup trop.
Je me couche dans mon lit, après m'être changé.
Je m'endors aussitôt, malgré la crainte que je ressens, seul dans le noir et le silence.

Je n'entends rien, ne sens rien, ne vois rien.
C'est le noir absolu. Ma bouche s'ouvre pour crier, mais aucun son ne sort, ou alors mes oreilles n'entendent plus rien.
J'ai l'impression qu'on m'étrangle, je ne sais plus respirer. Mes doigts tentent de palper mon cou, mais je ne sens rien. Ils sont comme paralysés, et ne répondent plus à mon appel.
Je n'entends rien, ne sens rien, ne vois rien.
J'arrive juste à ressentir l'angoisse qui menace de me submerger, et la sensation qu'on m'écrase les poumons.

Je me réveille en sursaut, m'asseyant sur mon grand lit. Je crie aussi fort que je le peux, et empoigne les draps de mes doigts.
Ma voix fonctionne, et mes oreilles entendent mon cri résonner. Les draps glissent entre mes doigts.
Non, je ne suis ni muet, ni sourd, ni paralysé. C'était juste un cauchemar.
Je me rallonge, soulagé, et tend ma main vers ma lampe de chevet, que j'allume.
Le noir complet.
Je gémi, et pleure à gros sanglots étranglés, comme un enfant.
Chaque nuit, c'est la même chose; l'état second dans lequel me plonge cette crise d'angoisse me fait oublier la réalité.
Je ne suis ni muet, ni sourd, ni paralysé.
Mais je suis aveugle.

Aveuglément amoureux      (ereri)Où les histoires vivent. Découvrez maintenant