Chapitre 1 : prologue

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Je me demande comment mes parents ont eu l'idée de me donner ce prénom. Nymphéa. C'est étrange comme nom. Et pourtant il me plaît, dans son originalité, et puis il me fait penser à ce peintre, Claude Monet, qui peignait ses magnifiques nymphéas.

De douces gouttes de pluie me sortent de ma rêverie. La nuit commence à tomber sur Rouen, la pluie et le soleil couchant se mêlent  pour danser une dernière valse avant que la lune ne prenne place.

Je balance mes pieds dans le vide, perchée sur le toit de mon immeuble. J'aime venir ici le soir, ressentir l'atmosphère calme qui se dégage de la ville, observer les lumières qui commencent à s'allumer... Et faire le vide, penser à autre chose que les cours, la famille et tout ce blabla de vie. C'est un peu mon havre de paix, ici. Pour certains ce sont leur chambre, leur jardin ou bien leur canapé, mais pour ma part, c'est mon toit. Et rien d'autre.

Machinalement je promène mes yeux un peu partout autour de moi, mes pieds se balancent toujours et me donnent l'impression de marcher dans le vide, de survoler le parc en-bas de la rue. Tiens, la voisine de l'étage du dessous ! Elle a l'air fatiguée en ce moment j'ai l'impression.. De grandes cernes violettes couvrent la moitié de ses pommettes. Elle doit travailler d'arrache pied pour être aussi épuisée. Pauvre petite voisine..
Même si je ne vois pas ses yeux, je peux voir qu'elle est malheureuse, fatiguée, crevée. Son dos est voûté, sa silhouette frêle, un peu comme une enfant qui aurait atteint l'âge adulte trop tôt.
Et pourtant, elle n'est pas malade, ni dépressive. Elle n'a pas non plus besoin de médicaments.
Il lui faut juste du bonheur dans sa vie.

Je tend mes mains et forme un petit bol afin que la pluie tombe dedans. Je m'amuse alors à faire refléter les nuages gris dans mon petit lac.

Mais alors que j'étais en pleine admiration je sens quelque chose bouger sur mon côté droit. A quelques dizaines de mètres de moi se tient un jeune homme, accroupit sur le rebord du toit. Il ne semble pas m'avoir remarquée. Le visage tourné vers le vide, il tremble. Son jean est troué aux chevilles et ses baskets sont sales et usées. Je continue de l'observer, puis je constate ses traits profondément crispés et ses yeux toujours tournés vers le vide. Ses cheveux bruns en bataille sont mouillés et ondulent d'avant en arrière. Il pose ses longues mains, qui me paraissent squelettiques, sur le rebord et commence à tendre lentement ses jambes.
Je me fige, immobilise mes pieds et focalise toute mon attention sur lui. Une alarme s'enclenche en moi, brisant l'atmosphère paisible qui y régnait. Elle me crie de réagir, faire quelque chose, n'importe quoi. Le garçon se penche un peu plus près du vide et je vois dans la pénombre du crépuscule, une larme dévaler sa joue droite. Que fait-il ? Il ne va pas sauter tout de même ?!

Et soudain 30 Nymphéa me hurlent de courir chercher de l'aide, de m'enfuir, de sortir mon portable, de crier à l'aide, et pourtant je reste paralysée par l'angoisse et la panique. Je ne sais pas quoi faire. Puis tout à coup je l'entend murmurer :
-10...,9...
Ho non. Non ce n'est pas possible, il faut que je réagisse, quelque chose, allez bouges toi Nymphéa !!
-8....7..
Tremblante et terrifiée, je commence rapidement à me lever et m'approche à pas de loups pour ne pas me faire voir.
-6...5...4....
Les 30 Nymphéa continuent d'hurler dans ma tête, et je suis mon instinct, dans la panique. Encore un pas. Un pied devant l'autre.
-3....2...
Je suis maintenant à un mètre du garçon et je peux le voir pleurer et tendre encore les jambes, comme happé par le vide.
-1... Désolé Mia..
Le temps s'arrête autour de moi, ma gorge se noue, et sans m'en rendre compte, mon instinct, une fois de plus,  agit contre ma volonté, et je bondis sur lui, l'interceptant  une micro-seconde avant qu'il ne se jette.

Nous retombons lourdement sur le toit et une douleur fulgurante me traverse le bras. Je dessers mes mains de son tee-shirt et me relève, grimaçante en me tenant le coude.
Le garçon gémit et reste par terre en tremblant de tout son corps.

Je retire ma main et découvre mon coude en sang. Abasourdie par ce que je  viens de faire, je recule à petits pas, effrayée.

Puis sans prévenir, il se relève d'un bond et se retourne vers moi. Il me fixe de ses yeux électriques, si bleus que le ciel paraîtrait bien fade à côté. Je ressens une force désagréable me traverser, quelque chose qui ressemble à de la haine, une colère sourde et puissante.

Je reste plantée là, encore sous le choc, incapable de bouger.
Lui, me cloue toujours de son regard noir et recule de quelques pas. Ses lèvres tressautent comme si elles voulaient cracher leur haine, puis il se retourne et part en courant vers les escaliers.

À cet instant, je ne me rendais pas compte des conséquences que pourrait avoir mon geste.

Nos vies brisées Où les histoires vivent. Découvrez maintenant