Chapitre 12 : Désillusion

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-Tu n'as pas l'air d'être dans ton assiette Phea, aujourd'hui.

Mon père posa quelques croissants sur la table avant de repartir immédiatement vers la cuisine.

-Toi non plus Alice, ajouta ma mère entre deux gorgés de thé certainement brûlant.

-J'ai mal dormi, il a fait une chaleur à cuir sur place la nuit dernière, répondit
Alice.

-Pareil.

En réalité, j'avais parcouru au moins une dizaine de fois chaque rues de mon quartier, hier soir. J'avais broyé du noir, broyé de la nuit.

J'évitais Alice depuis ce matin, en espérant secrètement qu'elle faisait de même. Ça avait l'air d'être le cas. Elle me jetait seulement des regards furtifs, en fronçant les sourcils, de temps à autres par dessus son bol de lait.

****

Je m'assois sur le bord du toit en me remémorant la dernière fois où mes pieds ont dansés dans le vide. Ce n'est qu'un vieux souvenir mais qui pourtant, demeure vif dans mon esprit.

Il faut que j'en parle. Je ressens ce besoin. Là, maintenant. C'est comme si la clé de mon coffre fort avait été retrouvée par quelqu'un et que la serrure avait été ouverte, libérant ainsi mon esprit au monde extérieur. J'ai pour habitude de tout garder pour moi, bien enfouit, à l'abri. Mais je commence à croire que cette pratique est ridicule. J'ai l'impression de me noyer dans ce "secret" qui m'étouffe. Ce souvenir, j'ai envie de le raconter. A mon père par exemple.
Alors je me dirige, penche la tête dans l'embrasure de la trappe et crie :

-Papa ! Un peu comme lorsque j'étais petite.
-Oui ?
-Tu peux venir ?
-Oui, deux minutes chérie.

J'ai eu l'impression de faire un voyage dans le temps. Je me souviens de la rentrée en CE2, j'avais pleuré toute la soirée car mes amis et moi, n'étions pas dans la même classe. Alors c'était la première fois que je m'étais réfugiée que ce toit. Et mon père était venu me réconforter, avec des mots simples, des blagues ringardes, et du chocolat.

-Nymphéa, j'apporte l'arc-en-ciel ?
Ah oui. L'arc-en-ciel.
-Je crois que oui, tu peux le prendre, criai-je.

L'arc-en-ciel, c'est un long ruban multicolore que nous agitions du haut du toit dans le vide. J'avais oublié. Cela fait une éternité que je ne m'en suis pas servit. Cette soirée de rentrée en CE2, papa l'avait aussi apporté, et je me souviens que mes larmes s'étaient taries, comme absorbées par l'arc-en-ciel. Je crois même, que j'avais demandé si le ruban pouvait me prendre pour m'emmener sur la lune. Papa avait ri et répondu que non, l'arc-en-ciel ne transportait personne sur son dos car il ne savait pas voler. C'est nous qui le faisions virevolter et qui lui donnions vie. J'avais répondu que je ne lui en voulais pas. A l'arc-en-ciel ou à papa ? Je ne sais plus.

-Quelque chose ne vas pas ? demanda mon père, en s'asseyant sans bruit. Cette phrase résonna comme une affirmation plutôt qu'une question.
-Ouais je crois.
Je pris le ruban arc-en-ciel et le fis tournoyer dans le vide, formant ainsi une mini tornade.
-Il te détends toujours autant ce ruban, n'est-ce pas ?
-Oui.
-Tu sais, Alice m'a raconté. Tout.
Je figeai mon poignet et le ruban tomba mollement. Le vent le malmena pendant que je regardai mon père, éberluée.
-Quoi ? Mais comment ..
-Phea, calme toi, ce n'est rien. Il soupira. Enfin, je te mentirai si je disais que je n'ai pas été quelque peu surpris mais il n'y a rien de dramatique à tout cela. Enfin je veux dire que t'inquiéter ou te torturer l'esprit avec cette histoire est inutile.

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