Chapitre 14 : Le rêvarium

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Je contemple le plafond de ma chambre, allongée sur mon lit. Je traque les moindres bosses et imagine des montagnes à leurs places. Je m'imagine sauter dans la neige, seule dans une immensité blanche et froide.
Le ciel serait bleu. Bleu comme les yeux de Louis.

"Allons boire un verre"

J'aimerai le voir pour lui parler de ce que j'ai appris. Peut être que j'aimerai le voir aussi tout simplement. Mais avant, j'ai encore une question à poser à mon père.
Je m'arrache à la contemplation de mon plafond, certes captivante, et me dirige vers le salon où je trouve mon père assit dans un fauteuil, un journal à la main.

-Papa ?
Il leva les yeux de son journal avec un sourire.
-Oui ?
-J'ai encore une question. Je peux ?
Son sourire se fit plus léger, moins franc. De toute évidence, le sujet du divorce des parents de Noah ne le mettait pas vraiment à l'aise. Et c'était compréhensible.

Il croisa les bras.

-Vas-y, je t'écoute.
Il concentra toute son attention sur moi.
-Tu m'a raconté beaucoup de choses, mais.. Quel rapport avec Noah, l'accident ou même la tentative de suicide de Louis ?
Il soupira.
- Comment était Noah, après le divorce de ses parents ? Mal, très mal. Il était dépressif, même âgé de quatorze ans. Hélène me parlait souvent de ses cauchemars. Il se réveillait en pleine nuit et hurlait : je vais les tuer, tout est de leur faute !

Un frisson me parcourût la colonne vertébrale. J'imagine Noah en train d'hurler. Et ça me fait peur. Je n'ai jamais vu, ou alors qu'une ou deux fois, Noah hurler ou être en colère et mort de chagrin à ce point.

-Tu te souviens des absences à répétions de Noah au collège ?

Je me souvenais très bien de sa chaise vide à côté de la mienne. De la tristesse des cours lorsqu'il était absent. Ou plutôt malade.
-Oui.
-Il allait voir un psychologue. Mais cela ne l'a pas vraiment aidé.

Cette phrase me fit l'effet d'un coup de poing dans le ventre. Noah ne m'en avait jamais parlé.

-En fait, Noah n'arrivait pas à admettre le divorce de ses parents. Pour lui, la famille Telbac était l'unique fautive. Voilà pourquoi je pense qu'il est lié à l'accident. Si non, pourquoi se serait-il enfuit à l'hôpital ? J'adore Noah, et tu le sait. Mais je crois que l'année 2014 à été très dure pour lui et je crains qu'il ai été déstabilisé.
Une petite boule d'anxiété grandissait en moi.
-Déstabilisé. Tu veux dire..
-Oui. Mentalement. Noah a sûrement été déstabilisé mentalement Phea.

***

Je ne sais pas trop où aller pour trouver Louis. Mes jambes m'emmènent toutes seules vers l'hôpital. Je passe devant l'accueil sans m'arrêter, même si je vois du coin de l'œil le même monsieur à lunettes que la dernière fois, hocher de la tête en me voyant entrer.
Arrivée devant la porte de la chambre de Mia, je toque. Elle s'ouvre un petit peu, et je vois Mia sortir la
tête, les yeux pétillants malgré ses cernes qui semblent constantes.
-Tiens, salut Nymphéa ! Elle me prit par la main et m'entraîna dans sa chambre avant de refermer la porte.
-Hey.
-Bon. Qu'est-ce que tu fais là ?
-Oh, rien. Je cherchais Louis. Dis-moi, tu ne nous en veux pas trop ? Je veux dire, d'avoir ramené Noah ici, la dernière fois.
Sa mine s'assombrit un court instant avant de m'assurer en souriant  :
-Non, bien sûr que non. Vous avez l'air d'être très amis.
-Oui, en effet.
Un silence passa. Cette discussion sonnait faux. Terriblement faux.
Mia alla s'assoir sur son lit, visiblement épuisée après être restée debout pendant 10 minutes.
Elle me regarda. Sans sourire, cette fois.
-Ce n'est pas à vous que j'en veux lâcha t-elle finalement.
Je ne sus pas quoi répondre. Il n'y avait peut être rien à dire finalement.
-Ce n'était pas Noah dans la voiture. Je ne lui en veux pas, continua-t-elle.
-Que t'a t-il fait ? demandai-je.
-Je ne sais pas vraiment. Il était lié avec le garçon qui... a provoqué l'accident, mais je ne sais pas par quel moyen. Parce qu'il .. Enfin non, parlons d'autre chose, dit-elle en balayant ce qu'elle venait de dire, d'un geste vif de la main. Je vis que parler de son accident et de Noah était encore douloureux pour elle. Je n'insistai pas d'avantage. Tu aimes rêver, Nymphéa ? me demanda-t-elle.

Une lueur malicieuse pétillait dans son regard.

-Évidement ! Dis-je en souriant. J'adore ! Mais qui n'aime pas rêver ?
-Les gens tristes n'aiment pas rêver, je crois. La tristesse, c'est comme un filet jeté sur les rêves.
-Ma sœur n'aime pas rêver, mais elle n'est pas triste !
-Qu'est-ce que tu en sais ? Tu n'es pas dans sa tête ! Peut être qu'elle aime rêver, mais qu'elle ne le dit pas. Il y a des gens pour qui parler de leurs rêves est gênant.
-Mouais.
-Si, assura-t-elle. Ah oui, j'oubliais. Je voulais te demander une faveur.
-Tout ce que tu veux.
-Wouah, c'est une grande promesse ça. Si je le prend littéralement je veux dire.
-Façon de parler. Tu décortique vraiment tout ce que disent les gens ?

Je m'assis sur son lit en riant.

-Bonne question. C'est devenu automatique je pense. Si tu es bien attentive tu peux découvrir beaucoup sur les gens, rien qu'en les écoutant ! Par exemple, je sais que tu veux me faire plaisir, c'est facile à deviner. Bref. Voici ma requête, dit elle en se levant. Elle mima un geste théâtral et me demanda :

-Tu crois que tu peux m'emmener sur ton toit ? Je sais que c'est ton rêvarium. J'adore ce mot. Même s'il n'existe pas.

Je m'attendais à tout sauf à ça. Elle aurait pu me demander quelques chose de plus commun, de plus habituel, mais ça ? Aller sur mon toit ? Impossible. Je ne peux pas prendre le risque de l'emmener si loin, alors que je doute qu'elle en ai la permission. Et puis, je n'ai pas vraiment envie que mes parents la rencontre, car il y aurait forcément une tension entre eux. Même s'ils ne se connaissent pas.

-Tu ne veux pas, demanda t-elle, certainement en voyant que j'étais gênée.
-Non.. Enfin oui mais..
Une idée surgit de mon esprit.
-J'ai mieux, dis-je. Je peux t'emmener au parc, ce serait moins compliqué je crois.
Son visage s'illumina, comme si je lui avais dit la plus belle chose au monde. Comme si j'avais allumé l'interrupteur en elle. Elle était rayonnante, j'aurai pu dire qu'elle était la fille du soleil.
-C'est d'accord !
-Comment fait-on pour sortir ? Tu as une autorisation ?
Elle éclata de rire.
-Une autorisation ? Ces blaireaux ne m'en donneront jamais !
-Ouais je vois. Alors, tu as un plan ?
-Oui ! Elle se leva en boitillant et marcha vers la fenêtre à une vitesse d'escargot. Je lui offrit mon bras pour la stabiliser. Tu vois, le toit descend en pente de ce côté. Je vais descendre par là et pendant ce temps, tu ira chercher le fauteuil roulant qui se trouve derrière l'accueil, puis tu me rejoindra. Je ne peux pas marcher très longtemps à cause de ma jambe finit-elle en désignant celle-ci.

-Wouah Mia tu ne veux pas plutôt que je te large en parachute, ce serait plus simple non ?
Bon alors c'est quoi le véritable plan ?

Elle explosa de rire.

-Mais, Nymphéa, c'est ça le plan !
-Quoi ? Attends, tu te moque de moi ?
-Ben... Non, répondit elle entre de deux hoquets de rire.
- Tu es folle ?
-Peut être. Je m'ennuie ici ! Elle se mit à tourner sur elle même les bras écartés.
-Hors de question que je fasse ça.

Elle se stoppa net.

-Oh je t'en prie, si tu étais à ma place tu me lécherais les pieds pour que je te fasse sortir de cet enfer ! Allez quoi, fais pas ta Sainte Nitouche !
-Eh, met toi un peu à ma place aussi ! Je n'ai pas envie de me faire arrêter !

Elle leva les yeux au ciel, dans un signe d'exaspération.

-Il n'y a aucun policier dans les environs ! La vie est trop belle pour ne pas en profiter, tu n'as pas encore compris... Nénuphar ?
-Oui mais.. Et ne m'appelle pas comme ça !
-Oh pardon, Louis est le seul qui a le droit de t'appeler comme ça, j'avais oublié ! Elle souriait, une lueur taquine dans les yeux.
-Mais non ! Je sentis le rouge me monter aux joues. Oh et puis allez, c'est d'accord on y va lancai-je à contre coeur.
-Tu sais quoi ? T'es ma fleur préférée ! Cria-t-elle en riant alors que je descendais les escaliers à toute vitesse.

Et je ne pus m'empêcher de sourire. Sacrée Mia.

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