Chapitre 6 : Accident

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Alice posa une tasse de thé fumante devant moi et s'assit en face.

Nous étions seules dans l'appartement. Elle me scruta attentivement, attendant qui je dise quelque chose.

Du haut de ses quinze ans, Alice me dépasse d'au moins une tête. Nous sommes complètement opposées l'une à l'autre et nous nous disputons souvent, comme toutes sœurs en fait.

Elle aime passer ses journées enfermées dans sa chambre, à discuter sur les réseaux sociaux avec ses amies, alors que j'aime me balader dehors.

Et quand elle n'est pas dans sa chambre, elle fait du sport. Et elle n'en pratique pas qu'un seul, puisque ses goûts vont de la danse au football, de la natation à l'escalade. Je dis toujours elle est contradictoire avec elle même et qu'elle a deux facettes, car elle peut passer une journée à ne rien faire et la suivante : courir de gauche à droite, et faire quatre sports différents dans la journée.

De mon côté, je n'ai pas de talents particuliers. Je profite juste de la vie, des petits bonheurs qu'elle nous offre. J'aime écrire et dessiner, assise sur un banc dans un parc. Écouter le chant des oiseaux, puis rêver, donner libre cours à mon esprit.

Ma sœur me dit souvent que je ne fais rien de ma vie. 

Peut être, ou alors j'en profite à ma manière.

Alice me fixe, ses doigts pianotent sur le bois de la table.

-Tu ne me croira jamais, si je te dis la vérité.

-Peut être. Mais tu n'en sera jamais sûre si tu ne dis rien. Alors, je t'écoute, je sais que tu caches quelque chose.

-Tu tiens vraiment à savoir ? Dis-je, mal assurée

-Oui.

Elle immobilise ses doigts et porte toute son attention sur moi.

Alors je lui raconte tout, dans les moindres détails, tout depuis ce soir de 29 juin à notre virée d'hier soir avec Noah. Et c'est comme si le poids que j'avais sur les épaules depuis trois semaines partait. Je me sens légère tout à coup, légère comme quelqu'un qui n'aurait absolument rien à cacher.

Je lui raconte la colère de Louis, sa réaction d'hier soir.

Et elle me regarde les yeux ronds, l'air abasourdie.

Je m'arrête, bois une gorgée de mon thé déjà un peu refroidit, et contemple Alice en essayant de deviner ses pensées.

Je commence à me lever, pas vraiment surprise de sa réaction. Et je ne lui en veut pas car moi même, j'ai du mal à croire à ce qui m'arrive.

Je me dirige lentement vers ma chambre, mon esprit cogite déjà, à la recherche d'une nouvelle idée pour en apprendre plus, pour pouvoir agir, faire quelque chose.

Puis une main me retient dans mon élan. Alice se tient derrière moi, me regardant de haut. Dans ses yeux verts, je vois de la compassion et de l'inquiétude aussi.

-Je te crois, murmure t-elle, c'est trop énorme pour avoir été inventé. Alors je te crois, Nymphéa.

-Merci.

-Qu'est ce que je peux faire pour t'aider, enfin pour vous aider ?

-Oh, rien. Je ne sais pas quoi faire, maintenant.

-Moi j'ai une idée. Son joli visage s'illumine et un sourire lui fend la face. As-tu toujours le numéro de téléphone de l'école ? continue t-elle.

-Oui. Mais je ne pense pas qu'on va répondre si on appelle parce qu'on est en plein mois de juillet.

-On peut toujours essayer !

Nous nous asseyons sur le canapé, et je compose le numéro de téléphone, pas vraiment convaincue.

Nous patientons quelques secondes,et soudain j'entends une voix à l'autre bout du fil. Je tressaillis, plus que surprise. Alice me souris, un soupçon d'excitation passe dans son regard.

-Oui ?

Je crois reconnaître la voix d'une femme, certainement d'âge mûr.

-Euh.. Bonjour. Je m'appelle Nymphéa Dupont et j'aimerai me renseigner.

-Oui, à quel sujet ? La femme à l'autre bout du fil a une voix douce, pleine de réconfort et emprise d'une assurance qui m'est inconnue.

-Je me demandais si une jeune fille nommée Mia Telbac avait fait sa scolarité dans votre école, ou si du moins son nom vous est connu ?

J'entends la femme soupirer à l'autre bout du fil. Elle ne parle pas pendant une petite minute. Je regarde Alice l'air gênée, et la vois me faire un signe d'apaisement le sourire toujours aux lèvres.

-Oui j'ai effectivement connue cette petite.

Je perçois une once de tristesse dans sa voix, l'assurance a disparu. Et tout à coup je ne me sens plus aussi bien qu'avant, une pointe d'inquiétude s'immisce en moi.

-D'accord. Sauriez-vous me dire dans quel établissement se trouvera t-elle au mois de septembre ?

-Elle devrait être au lycée à la rentrée. Mais malheureusement elle ne vas plus à l'école. Et c'est profondément dommage car c'était une brillante élève, curieuse, et d'une gentillesse incomparable. Un petit ange.

-Me permettez vous de vous demander pourquoi ?

Je l'entends soupirer tristement à nouveau.

-Vous n'êtes pas journaliste au moins ?

-Non, bien-sur que non. Mais s'il s'agit d'une affaire privée, ne vous sentez absolument pas obligée de répondre.

Je regarde droit devant moi, concentrée sur la voix de cette dame.

-Pourquoi cela vous intéresse tant ? Avez vous un lien parental avec Mia ? Une pointe d'agacement surgit, me mettant mal à l'aise. Je sens le regard d'Alice toujours posé sur moi, mais son sourire à disparu.

- Non je n'ai aucun lien avec Mia. Je suis désolée pour mon insistance mais j'aimerai en apprendre davantage. J'ai rencontré son grand frère il y a quelques temps. Êtes vous au courant qu'il a tenté de mettre fin à ses jours ? Alors depuis, j'essaye de l'aider à s'en sortir, mais je ne sais presque rien de lui. Je pensais que Mia serait une bonne piste pour en savoir davantage...

La dame ne répond rien. Et pourtant je peux entendre sa respiration s'accélérer.

-Lorsqu'elle avait onze ans, Mia s'est fait renverser par une voiture en sortant de l'école. La voix se vrille, comme secouée par ce sombre souvenir.

Mon cœur s'arrête de battre, mes yeux s'ouvrent en grand et je suis incapable de réagir. L'horreur s'empare de moi. Je suis comme paralysée par ce que je viens d'entendre. Je sens Alice se tendre, m'interroger du regard.

-J'étais à la grille de l'école et je n'ai pas su réagir pour l'empêcher de traverser la route, pour l'empêcher de se faire renverser, pour empêcher que ce type ne la tue à moitié. Vous comprenez ? J'aurai pu la sauver, mais je tournai le dos à la route.             Sa voix se brise, je l'entends se moucher. Si je m'étais simplement tournée de l'autre coté... Comme un seul geste peut changer une vie, continue t-elle.

Je sens ma gorge se nouer, les larmes me monter aux yeux en entendant la tristesse de cette femme. Je n'ose imaginer les remords qui ont du l'envahir depuis ce jour.

-Je suis désolée, dis-je. Vraiment désolée.

-Personne ne peut être plus desolée que moi.

-Je... je vous remercie pour tout.

-J'espère que vous parviendrez à les aider touts les deux, dit-elle tristement.

-Je vous promet de tout faire pour. Je vous le promet.

-Elle est au CHU. Mia est au CHU. Vous lui transmettrez toute mon affection..

-D'accord. Oui bien-sur, dis-je avec un sourire, même si seule Alice pouvait me voir.

Nos vies brisées Où les histoires vivent. Découvrez maintenant