Partie 5:

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-Ça va faire deux semaines depuis demain. Comment tu me trouves depuis la première fois ?

Les yeux ternes du gamin se posèrent sur l'adolescente, debout sur la moquette de sa chambre, vêtu de sa sempiternelle chemise de coton blanche, les cheveux détachés. Lorsque, la première nuit, ceux-ci semblaient sans reflet, sans volume, ils étaient à présent d'un scintillant blond blanc. Sa peau, auparavant pâle, semblait avoir repris des couleurs, elle n'était plus aussi mince et ses bras étaient lisses et dépourvus de nouvelles cicatrices, malgré les traces blanches.

-Beaucoup mieux, approuva t'il en souriant.

-Et toi aussi. Tu es différent de ce premier jour, ou plutôt que cette première nuit.

-Ah ? Comment ça ?

-Tu ne vois vraiment pas ? s'étonna Lisette.

-Enfin, c'est impossible ce que tu dis Lisette, statua t'il.

-Mais regarde toi gamin ! Tes cheveux n'ont plus cette couleur fade, ta peau est rosé, ton visage plus expressif, et seul tes yeux semblent toujours délavés et ternes, s'esclaffa la jeune fille.

-Je... je ne comprend pas... cela ne devrait pas être, bafouilla le garçon, surprit plus que ne le pensait Lisette.

-Comment ça ? Tu es bizarre là, tu es sûr que ça va ?

Un instant, un court instant, les yeux du garçon se teintèrent de noir, mais ce fut tellement bref que l'adolescente pensa avenir rêvé. Et puis, l'enfant s'assit sur le rebord de la fenêtre, comme absorbé dans ses pensées. Toujours vêtu de la même façon, quoique cette fois accompagné d'un léger parfum de menthe, il avait ce charme qu'on les enfants, et qui part bien souvent avec l'âge.

-Eh... Lisette.

-Hum ?

-Tu pense... Connaître dans ta famille...

-Gamin ? Tout... tout va bien ?

-Dans ta famille, murmura l'enfant, quelqu'un qui pourrait...

-...

-Avoir... avoir un frère décédé dans un accident ?

Les yeux olives de l'adolescente se posèrent sur le garçon, remplis de questions sans réponses. Que pouvait-elle bien lui dire ? Que sa propre mère serait devenue folle sans son père à cause de la mort de son petit frère ? Bien sûr que non. Loin d'être idiote, Lisette était intelligente. Pas superstitieuse, mais à l'écoute des autres. Comment ne pas remarquer dans le noir ces grands yeux ternes d'un bleu indigo alors même que son père possédait les mêmes. Il lui avait fallu du temps pour s'en rendre compte bien évidemment, mais cela lui semblait si clair maintenant.

-Et, quand bien même je te dirais oui, à quoi cela te servirait donc ? soupira t'elle en se levant pour se diriger vers son lit.

-Je ne sais pas... je voudrais juste...

-Tu vois, c'est égoïste, ça. Vouloir, vouloir, tu ne peux pas tout avoir.

Surpris par la sage phrase de la jeune fille, l'enfant se retourna vers elle pour rencontrer un regard froid et dur, comme dépourvu de l'amitié qui l'animait avant. C'était comme si, en quelque secondes, Lisette avait tout oublié de lui.

-Tu penses être là pour cette personne que tu cherches, et puisque je lui ressemble, tu veux me connaître, me parler, mais tu te fiches de moi. Ça m'a pris longtemps avant de comprendre, tu vois.

-Li... sette...

-Mais cette nuit, là, quand tu es entré dans ma chambre, attiré par je ne sais quoi, je pensais vraiment que tu étais un ange venu pour me voir mourir. Tu étais trop absorbé par mes yeux pour les voir, ces cicatrices, partout, partout.

-Non, tu ne comprend pas, c'est—

-Non. J'ai tout vu. Tes yeux, les yeux de papa, les yeux de maman.

-Quoi, mais—

-Tais-toi ! cria la jeune fille, des larmes roulant sur ses joues désormais, alors que l'enfant ne savait plus quoi faire.

-...

-Tu sais, on dit que les yeux sont les portes de l'âme, reprit-elle doucement. Mais, les tiens étaient ternes, fades, délavés. Ceux de papa sont illuminés de vie quand bien même il est triste. Tu sais pourquoi ? Parce qu'il a une âme. La tienne est déjà partie depuis longtemps. Regarde toi maintenant.

-Lisette... c'est faux, tu ne comprend pas...

-Peut-être, sourit la jeune fille, sans essuyer les larmes d'argent sur ses joues, peut-être que je ne suis qu'une idiote qui affabule, et que tu n'es pas comme ça. Mais alors, peux-tu me le dire en face, que je mens ? Dis-le.

Une grimace effrayante tordit son visage alors qu'elle relevait les yeux vers le gamin. De grands, trop grands yeux olives, teinté d'un marron boueux. Ternes. Sans couleur. Des yeux délavés, comme les siens. Pourquoi ? Il se tû.

-Je le savais, soupira l'adolescente.

-Lizzie.

La jeune fille sursauta. Bien que Lizzie soit son diminutif, jamais, au grand jamais, il ne l'avait encore nommé comme cela. Pourtant, elle l'en avait encouragé, mais il détournait la conversation à chaque fois.

-C'est pour Lizzie, que je suis revenu, reprit l'enfant, les yeux baissés. Je ne voulais pas partir maintenant. Je ne pouvais pas. Il y a trente ans, quand je suis mort dans cet accident, c'était après lui avoir dit que je la détestais. Que je préférerais mourir plutôt que passer le reste de ma vie avec elle. Elle avait juste brisé mon dauphin en cristal offert par maman avant qu'elle ne meurt. C'était une bêtise, un accident. J'en suis mort, tu vois.

-Je...je...

-Ce n'est pas grave, au fond, mais ça l'a hanté, et moi aussi. Là-bas, ce n'est pas tout beau et tout gaie. J'étais sage, j'aurais dû simplement disparaître, mais je ne voulais pas. J'ai brisé un sceau, et passé un pacte. Pour mon âme aux Enfers, un délai de temps pour revoir Lizzie. Je l'ai cherché dans tout le pays, et dans les autres aussi. Pendant trente longues années, ou j'ai désespéré. Et, je t'ai vu, à travers la fenêtre. Tu es son portrait craché Lisette, et tu me ressemble aussi. Je t'ai vu pleurer et souffrir, et j'ai voulu t'aider. Te laisser ainsi m'aurais tué plus qu'autre chose quand son visage, je le retrouve sur toi. Alors, je comprend que tu me déteste.

-Oh...

-Tu vois, maintenant, que je te connais mieux, je sais que tu n'es pas elle, mais toi.

-Vraiment... tu es...

-Je te pensais semblable à elle, mais jamais ma Lizzie n'aurait élevé la voix. Jamais, elle ne se serrait mise en colère, et jamais, elle ne se serrait permise de pleurer devant moi. Tu n'es pas ma sœur, mais sa fille.

-...

-Tu lui ressemble, c'est vrai, mais dans le fond, tu es Lisette. Pas Liselotte.

-Je... comprend. Je ne te déteste pas... Comment je le pourrais ? Elle m'a tellement parlé de toi... je ne peux pas... c'est... après tout, et même ainsi, tu es de ma famille... Ciel.

CielOù les histoires vivent. Découvrez maintenant