Le Capitaine au corbeau

176 20 47
                                    

La Mariada constata non seulement que les rumeurs concernant La Gazelle Pourpre étaient vraies, mais qu'en plus elles la sous-estimaient : même La Reine Teuta n'était pas aussi maniable et, à taille comparable, la caravelle se serait montrée plus rapide. Raison de plus pour rester accroché à son bastingage comme un bulot à son bout de rocher.

L'équipage, d'abord surpris de voir une étrangère donner des ordres, s'y conforma lorsqu'il comprit l'urgence de la situation. Contrairement aux soldats qui respectaient scrupuleusement la hiérarchie, les pirates suivaient leur bon sens. Leur instinct de survie, qui leur dictait de fuir, s'accordait avec les directives de la nouvelle venue.

« Bordez la grand-voile ! » hurla Lola en faisant signe à son second de prendre le commandement d'un côté et à son troisième lieutenant de s'occuper de l'autre, par habitude. À bord d'un bâtiment aussi petit cela n'était pas nécessaire, mais les pirates ne la connaissaient pas et ce renfort d'autorité ne serait pas de trop.

« Étarquez les drisses ! » ordonna une voix contrariée derrière elle.

Le capitaine Sinclair ne paraissait pas saoul mais sur un navire, difficile à dire. Si son nom n'avait évoqué aucun souvenir en Lola, son aspect suffit à lui rappeler des racontars échangés au fond des ports.

Autrefois surnommé le « Lion des mers » en raison de son opulente chevelure blonde et de son indolence, Sinclair couvait sous une paupière endormie le feu blanc des grandes marées. Son œil, d'un bleu de ciel délavé, enfoncé sous la broussaille d'un sourcil brun, semblait frappé de cécité. Ses cheveux, toison d'or sale, il les enserrait dans un foulard fané, jamais ôté, mais orné de dorures, duquel partaient des mèches de longueur inégale, laissées libres pour la plupart, tressées pour d'autres ; abandonnées, certaines exhibaient l'amas pendant de leur feutre de crin mort.

On disait de celui qui couperait sa tête qu'il emporterait de ce coup-ci plus d'or qu'il ne s'en pouvait amasser en un an dans la cale d'un navire. En effet, Sinclair ressemblait plus à un marchand ambulant qu'à un pirate sanguinaire tant son couvre-chef débordait de pierreries, broches, chaînes et matériaux précieux en tous genres et même une boucle de ceinture, prise, selon les dires, au cadavre de Liott Sellas.

Son visage aux joues creuses, au teint bistre, surmonté d'un nez bossué, aurait pu sembler avenant s'il n'arborait pas un air de perpétuelle condescendance. Il avait du reste d'assez belles mains, très grandes, qu'il couvrait d'or en bagues, et portait encore, posé sur ses épaules, le long manteau rouge qui servait d'uniforme aux corsaires.

« Je ne vous ai pas accordé la permission de monter à bord, ni de donner d'ordres à mes marins ! »

« Vous voulez en discuter maintenant ou le cou orné d'un cordage ? » rétorqua Lola en désignant le port. La caravelle s'était suffisamment éloignée des quais pour qu'on ne distingue plus les soldats de Lambert, dissimulés par les navires à quai, mais il régnait sur les pontons la frénésie caractéristique des départs précipités.

La Gazelle Pourpre, jaillissant la première hors de la crique entourée de falaises, surprit même la petite flotte militaire qui attendait pourtant d'éventuels fuyards. Elle la dépassa si vite que la corvette de tête, après lui avoir tiré quelques flèches enflammées, abandonna la poursuite pour jeter sa troupe sur un autre navire également pressé de s'éclipser.

Lola ordonna de virer à bâbord, en direction d'une île qu'elle connaissait bien. Sinclair commanda de s'orienter à tribord. Chez les flibustiers, le capitaine ne supervisait que les batailles, mais clairement Sinclair ne l'entendait pas de cette oreille.

La Gazelle Pourpre [Sous contrat d'édition]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant