Le quartier des artisans était divisé entre les ateliers de bonne réputation et les autres. On atteignait ces derniers par la route, mais il fallait persuader les soldats qui patrouillaient devant les belles boutiques de vous laisser passer, et l'Hirondelle avait appris très jeune qu'un va-nu-pieds brun comme une noix parvenait mal à convaincre. Il prit donc par les toits, se faufilant comme un chat tapi contre le chaume jusqu'à la verrerie de Miss Dugrésil.
C'était un bâtiment grand comme un navire où des dizaines de verriers s'affairaient autour du ventre brûlant d'un four immense. Certains soufflaient dans de longues tiges pour produire une bulle de verre creuse qu'ils agrémentaient de pâte colorée. D'autres mesuraient et découpaient méticuleusement de larges plaques translucides pour les ajuster ensuite sur un support de plomb. Du côté de l'entrepôt, on organisait et protégeait les commandes en vue de leur transport. Miss Dugrésil dirigeait une verrerie réputée et, comme à son habitude, Vivien la repéra attablée devant un registre de clientèle, son boulier et du matériel d'écriture. Il se laissa silencieusement couler par la trappe qu'on ouvrait pour déplacer de grandes œuvres et atterrit à côté d'elle, la faisant sursauter.
« Par tous les dieux, Vivien, tu ne pourrais pas passer par les chemins comme un animal ordinaire ? »
« J'aimerais bien, mais les soldats m'y enfonceraient dedans comme un piquet de tente », répliqua-t-il avec un sourire. « Les affaires se passent bien ? »
« On m'a commandé un nouveau vitrail », dit-elle en désignant de loin les travaux qui allaient bon train dans son atelier, où une ossature de plomb représentant un dragon finissait d'être montée. « Mais j'ai eu de la casse et je vais avoir du mal à rentrer dans mes frais. Tu as toujours des problèmes de rongeurs ? »
L'Hirondelle vint s'asseoir à demi sur la table malgré le froncement de sourcils désapprobateur de la vieille dame. « Non, ta poudre à blanchir le verre fait des miracles contre les rats de cale, et je t'en remercie. Un remède radical contre les indésirables ! En fait, je viens plutôt pour te poser une question. »
La commerçante revint à son livre de compte. « Je n'ai pas de temps à perdre avec un malappris. »
« Et avec un malappris qui est aussi voleur ? » s'enquit l'Hirondelle en sortant de sa ceinture un collier en perles de verre.
Miss Dugrésil s'en saisit et l'examina à l'aide d'une loupe. « Pas de marque. Finitions désastreuses. Mais l'insert de couleurs dans ces perles est tout à fait unique, d'où tiens-tu ça ? »
« D'une passante peu fortunée et assez tête en l'air. Tu m'excuseras de ne pas lui avoir demandé son adresse. »
La commerçante rangea d'une main le collier dans son aumônière. « Très bien, que veux-tu savoir ? »
« Je cherche une opale de feu de cette taille au moins », dit Vivien en serrant le poing devant elle. « Au meilleur prix. »
« Je te connais un peu, mon petit bonhomme, et je sais que ton meilleur prix creuse des trous dans les livres de comptes. Je ne te donnerai pas de conseils en cambriolage. »
« Et si je pouvais l'acheter ou l'échanger contre autre chose ? »
« Si tu pouvais acheter une gemme de cette taille, tu pourrais t'acheter un pantalon neuf. »
Vivien fit la moue. « Je vais devoir demander ailleurs, alors. »
Miss Dugrésil soupira. « J'ai entendu parler d'un receleur dans la rue des mauvaises mœurs. Je ne sais pas ce qu'il vaut, mais comme l'atelier du joaillier Peter a été dévalisé il y a quelques nuits, il est possible que tu y trouves quelque chose. »
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La Gazelle Pourpre [Sous contrat d'édition]
AdventureCapitaine pirate célèbre pour avoir incendié l'Isla Verde, La Mariada perd sa frégate lors d'un affrontement avec le lieutenant Lambert, chargé de l'arrêter. Il lui faut un nouveau navire ! Poursuivie par les troupes de Lambert, elle s'engage à bord...