La Pierre aux Voeux

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Du haut de la vigie, la Mué chantonnait dans une autre langue, ce que le capitaine Sinclair n'appréciait pas. Il venait des contrées froides où la Reine ne parlait que deux idiomes, celui de son pays et celui de la noblesse ; il lui était insupportable d'entendre cet avorton y joindre les mots des ennemis de la Couronne. Il le héla pour le faire descendre.

« Rien que des vagues, capitaine ! » répondit l'enfant, qui ne devait pas avoir compris son ordre. Sinclair se répéta en appuyant sa demande d'un geste et l'acrobate descendit aussitôt de son perchoir avec une agilité remarquable. Un jour, il faudrait que Sinclair ordonne à ses hommes de le déshabiller, qu'il puisse confirmer une fois pour toutes la véritable nature des Mués.

Il semblait jeune mais pouvait bien ne pas faire son âge car, d'après les rumeurs, son peuple ne vieillissait pas de la même manière que les humains. Ou peut-être n'était-ce qu'un indigène qui aurait menti sur son identité...

« Qu'est-ce que tu chantais, là-haut ? Tu ne fais pas honneur à la Reine. »

« Je crois que je ne fais pas bien honneur à la Reine quand je pille ses navires », dit l'autre d'un ton malicieux.

Raven le frappa assez fort à l'arrière de la tête. « Réponds à ma question. »

« C'est la comptine de l'île aux Vœux », répliqua l'Hirondelle en se frottant le crâne, le regard noir. Sinclair lui donna un deuxième coup, cette fois sur la nuque.

« Ne fais pas le malpoli avec moi. Quand on sait écrire, on sait parler. »

« Comme vous, capitaine ? » rétorqua la Mué avec une pointe d'acidité que Sinclair jugea inadmissible. Il immobilisa le gouvernail pour lui assener quelques gifles bien senties de ses mains gantées de bagues.

« J'ai entendu dire que tu avais cassé le nez d'un de mes hommes », ajouta-t-il en l'attrapant par les cheveux.

L'enfant, qui lui agrippait les poignets pour avoir moins mal, semblait furieux. C'était vraiment comme une bête sauvage qui lui aurait arraché les yeux s'il l'avait laissé sortir les griffes. Ses cheveux noirs, partout, paraissaient trouer l'espace de leur obscurité. « Si tu n'apprends pas à te tenir, je t'infligerai une correction dont tu pourrais bien ne pas te relever. »

Il le fixait droit dans les yeux, mais la Mué ne baissait pas le regard. Ce dernier, au contraire, s'étrécit lentement alors que son visage se fendait d'un sourire. « Mais dans ce cas, capitaine, qui vous parlera de l'île qui réalise les souhaits ?... »

Sinclair le lâcha avec dégoût. Ce serpent.

L'Hirondelle, tombé à terre, se massait furieusement les cheveux ; Raven lui donna un petit coup de pied avant de se remettre à la barre. « Alors, cette histoire ? »

« Qu'est-ce que vous me donnez en échange ? » répliqua le gamin en relevant le nez d'un air effronté. En quelques bonds il fut assis sur la rambarde devant le gouvernail, et pointa du doigt la flûte de pan que le capitaine gardait précieusement accrochée à sa ceinture. « Je veux bien vous le dire, si vous m'offrez ça. »

Le coup partit tellement fort qu'il projeta l'Hirondelle à plusieurs pas de là, ses cheveux noirs comme des traits de sang. « Ma patience a des limites. »

La Mué se redressa douloureusement, avec un petit rire, mais n'eut pas la sottise de le provoquer davantage. Il resta d'ailleurs là où il était tombé. « Quand vous êtes arrivés, avec vos gros navires, vous avez pillé toute la contrée et entre autres, l'île des Échos. » Il poursuivit avant que Sinclair se décide à lui casser la mâchoire pour lui apprendre à mieux parler de ses compatriotes. « Il y avait là une opale de feu, dans les mains de la statue de la déesse. Tant qu'elle était en place, on pouvait faire un souhait, et il est arrivé bien souvent que cela se réalise. Mais la pierre a disparu, maintenant. J'ai entendu dire qu'elle était tombée dans les poches du gouverneur de Fort Real. »

La Gazelle Pourpre [Sous contrat d'édition]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant