Les gardes de la forteresse s'adonnaient tranquillement à un jeu d'osselets lorsqu'ils repérèrent le gamin. Il traînait non loin de là en leur lançant des regards en coin et en jetant des cailloux sur les pierres.
« Eh, le mioche ! »
L'enfant s'immobilisa. Il n'était pas si jeune, plutôt entre deux âges.
« Viens ici, veux-tu ? »
L'autre arriva en levant le menton d'un air presque insolent, en repoussant ses cheveux noirs.
« Qu'est-ce que tu traînes tout seul devant les portes du fort ? Tu ne devrais pas être au travail ? »
« J'ai quartier libre », répliqua le môme avec aplomb. Il hésita un instant puis leur jeta un coup d'oeil en biais. « Dites, du moment que vous êtes là, vous ne sauriez pas comment on fait passer des mots au gouverneur ? »
Les deux gardes échangèrent un regard. « Qui t'a donné une lettre ? »
« Je n'ai pas dit que c'était moi ! » se défendit le jeune indigène.
« À d'autres ! » commenta un des soldats en rassemblant rapidement son jeu d'osselets. L'autre attrapa le gamin par le bras et le secoua. « Fais voir un peu la missive. »
« On m'a dit que j'aurais une pièce ! » riposta ce dernier. « Et seulement si je donnais la lettre en main propre. »
« Qui t'a dit ça ? »
« Je ne sais pas son nom. Si nous allons sur le port, je pourrais peut-être reconnaître son visage, mais seulement si j'ai une pièce. Une autre pièce. »
Il leur jeta un regard par en dessous. « Mais je dois laisser la lettre au gouverneur. »
« Monsieur Busquet de la Besse Fauchand s'est retiré dans son palais de chasse il y a deux semaines. Tu ne le trouveras pas ici. »
« Ah. » Le môme sembla dépité. « À qui est-ce que je la donne, alors ? On m'a dit de la remettre au patron. »
Les gardes se concertèrent du regard, puis celui qui le tenait par le bras acquiesça. « Je vais t'emmener voir le lieutenant. C'est lui qui s'occupe des affaires en son absence. »
« Et j'aurai ma pièce ? »
*
Le lieutenant Lambert chassa un moustique qui lui bourdonnait autour depuis le début de la matinée. Que de paperasse ! L'interruption d'un garde fut presque la bienvenue. Presque, parce que ledit garde venait accompagné d'un vaurien.
« On l'a trouvé aux portes. Il prétend avoir un billet pour le gouverneur, et pouvoir reconnaître la personne qui le lui a donné. »
« J'ai aussi dit que je voulais une pièce ! » fit remarquer le jeune indigène.
Lambert fouilla machinalement dans sa bourse et jeta un sou à terre. Le garçon eut un sourire narquois, et sortit une lettre de sa chemise. Lambert fit signe à son domestique de lui apporter la missive ; tandis qu'il la dépliait, il se fit la remarque que le messager n'avait pas ramassé la pièce.
Mon bon sieur Lambert, je saurais où vous livrer le capitaine pirate et traître à la Couronne Armand de Sinclair, s'il vous savait gré de vous plier à mes deux conditions :
Premièrement, que vous fassiez apprêter une barque de fret avec à son bord six tonneaux de biscuits et autant d'eau douce, cinq cents sous d'or et une opale de feu grosse comme le poing, en faisant courir le bruit que vous avez l'intention de les faire parvenir en cadeau à Sa Majesté votre Reine,
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La Gazelle Pourpre [Sous contrat d'édition]
AdventureCapitaine pirate célèbre pour avoir incendié l'Isla Verde, La Mariada perd sa frégate lors d'un affrontement avec le lieutenant Lambert, chargé de l'arrêter. Il lui faut un nouveau navire ! Poursuivie par les troupes de Lambert, elle s'engage à bord...