Memento Mori - Série Faida

6 - L'orario delle visite

Dorotea

La fatigue se faisait sentir douloureusement. Le contre-coup de la nuit dernière, à n'en pas douter. A quand remontait ma dernière altercation de ce genre ? Si mes souvenirs ne me trompaient pas, il devait s'agir de ce jour particulier en Écosse avec Loutiern O'Callaghan, ma meilleure amie.
Ses parents refusaient notre voyage à Inverness. A dix-neuf ans alors que je posais un choix qui tracerait une partie de ma vie et que mon amie venait de se faire larguer en beauté par un abrutit, nous nous étions, en toute logique pour cet âge-là, embarquées dans un road trip façon Thelma et Louise. Nous avions même acheté des foulards comme dans le film pour l'occasion. Trois jours plus tard, un clan adverse aux O'Callaghan nous ciblait et je prenais un projectile dans l'avant-bras gauche. Et le cinquième, Sean et Tara, les parents de Lou, nous privaient de sorties pour l'année scolaire entière.
Les dix mois les plus longs de toute notre existence.
Avec le recul, je comprenais combien notre escapade aurait pu mal tourner. Nous avions mal effacé nos traces, nous nous affichions librement dans des villes gardées par des familles hostiles. Comment aurions-nous pu nous en sortir ? Si un étranger aussi important se baladait dans l'une de mes villes, je le saurais dans la seconde et prendrais les mesures nécessaires pour qu'il devienne l'exemple de ma puissance.

Enfin, avant, je l'aurais fait.

Je pris une commande en forçant le couple d'américain à se répéter plusieurs fois. Leur accent atroce ne m'aurait pas poser plus de problème que cela en temps normal, mais l'épuisement n'aidait pas.

- Tu devrais t'asseoir quelques minutes, me conseilla mon patron.
- J'irai après, assurai-je.

Je saisis le plateau et distribuai les commandes. Une fois fait, je me faufilai dans la cours arrière pour fumer une demi cigarette. Mon téléphone restait éteint. J'en étais la première étonnée. J'aurais cru que l'espion d'Alessio lui aurait débité la petite scène imbécile que Carmine et moi avions joué à la vue et au su de tous, et qu'il provoquerait une dispute dès les premières lueurs de l'aube.

Il faudrait l'intéresser pour ça, railla ma conscience.

Il fut une époque où j'envisageais sérieusement d'accepter le contrat verbal passé entre nos deux pères durant notre enfance commune.

Avant cela...

J'avisai les bracelets épais de cuir que je gardais inlassablement aux poignets depuis dix ans. Ce qui se trouvait en-dessous rebuterait n'importe qui. Moi la première, d'ailleurs.
Une profonde lassitude me saisit.
J'écrasai mon mégot et retournai au boulot.
Je détestais me lamenter sur moi-même. Pourtant, cela m'arrivait de plus en plus souvent depuis mon retour à Reggio di Calabria. Je devais agir avant que mes émotions en m'aveuglent et m'empêchent d'avancer.

- Cette journée a été affreuse, se lamenta Daniela pendue à mon bras.
- J'ai hâte de retrouver mon lit, acquiesçai-je.

Lucrezia sourit, un sourire un peu narquois sur son visage triangulaire, mais ne nous détrompa pas pour autant. Les cernes sous ses yeux parlaient à sa place, de toute façon.

Même s'il restait le sang et les marques de craies sur le sol, je fus rassurée de retrouver mon chez-moi. J'avais compris au fil des années combien j'apportais de l'importance à posséder un endroit à moi. Un lieu dans lequel je pouvais garder quelques affaires de valeur et ne pas craindre un coup de couteau dans le dos.

En principe, du moins.

Les filles passèrent à la douche pendant que je sirotai un thé dans le salon. Je sortis mon ordinateur de poche et activai le programme offert généreusement par Loutiern avant mon départ. Il scanna l'ensemble de la pièce deux fois. J'éteignis la lumière, montai sur une chaise et décrochai la plante grimpante du plafond. J'arrachai le capteur puis j'enlevai celui sous le guéridon près de la cuisine. Les deux terminèrent leur course dans la sac poubelle que je jetai dans le vide ordure de l'immeuble.
Les policiers ne manquaient pas de culot.