40 - Sa famille

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Dorotea

Les jours passaient et se ressemblaient. Je me levais, descendais pour déjeuner avec Yanamarie, la mère de Carmine, puis je voguais dans la maison telle une âme en peine. Je cherchai bien un moyen de m'échapper mais cette demeure ne reposait sur aucun conduit de fuite... contrairement à la majorité des maisons de Reggio di Calabria.
En résumer : je m'emmerdais plus encore qu'un rat mort.
Bien sûr, ce genre de vie me pendait au nez depuis ma naissance. Combien de membres de ma famille vivaient-ils sous la maison familiale pour échapper à un ennemi – 'Ndranghetiste ou policier – pendant des dizaines d'années ? C'était un avenir plus que probable. Sauf que je vivrais avec les miens et pas avec des étrangers d'un autre monde.
La solitude ne serait pas aussi lourde !
Je voyais bien dans le regard de Yanamarie qu'elle s'attendait à me voir imploser d'une minute à l'autre. La femme et la mère d'un policier n'imaginait rien d'autre venant d'une fille de mafieux se rebeller avec violence.
Mon regard dévia sur notre gardien du jour. A part leurs yeux, jamais aucun d'entre eux n'enlevait sa protection. Pourtant ils commettaient quelques erreurs comme s'appeler par leurs prénoms lorsqu'ils pensaient se trouver seuls. Je savais donc qu'il se prénommait Dangelo, un italo-américain qui appelait très souvent sa mère à dix-neuf heure précise tous les deux jours. Difficile de croire qu'il pouvait kidnapper des gens, les garder enfermé et envisager de leur tirer dans le dos s'ils tentaient de s'échapper.

- Pouvez-vous mettre le journal ?

Je saisis la télécommande sur l'unique commode et allumai la télévision. Les nouvelles ne variaient pas de la veille. Un thé entre les mains, je pris place dans le fauteuil au fond de la pièce, le seul angle qui me permettrait de garder un oeil sur les arrivées et les sorties.
Mon coeur se glaça dans ma poitrine à la vue de la maison en cendre. Le journaliste parlait d'une enquête qui piétinait après l'explosion d'une maison de mafieux. Règlement de compte ? Erreur humaine ? Aucun survivant.
Les mots se répétèrent en boucle sous mon crâne. La douleur pulsait sous la masse de doutes et de questions. J'essuyai mes mains sur mon pantalon de toile et sortis. Le soleil jurait avec ma mentalité presque dépressive. L'inquiétude tordait mes tripes. Comment réagissait Alessio ? Sa famille en morceaux et ma disparition ne devaient pas arranger son état psychologique constamment sur le fil du rasoir.
Et si je le perdais ?
Mon petit-déjeuner remonta dans mon œsophage à cette idée morbide... effrayante... trop angoissante. Je me dégageai d'un mauvais de l'épaule de la soudaine prise. Carmine leva les mains sans doute pour m'apaiser mais sa simple vue avivait mes émotions destructrices. Je m'éloignai silencieusement.

- Tea !
- Dorotea ! le corrigeai-je rageusement pour la centième fois depuis des jours.

Entendre ce surnom dans sa bouche me donnait envie de gerber ou de le tuer.
La forêt nous entourait. Où que se posaient mes yeux, je ne voyais que des arbres trop éloignés les uns des autres pour permettre une descente à l'abri de tirs. La maison se trouvait à une emplacement de choix : à mi hauteur sur la montagne, encerclée de chênes verts, de pins et de hêtres. Je pouvais voir l'infini de la mer méditerranéenne. 
Je devais m'échapper.

- N'y pense pas, Dorotea !

Il arrêta mon poing qui fonça vers son visage. Sa prise fut suffisamment forte pour m'ôter l'envie de riposter.

- Tu ferais bien de me tuer maintenant, Buonamico ! Crachai-je pleine de ressentiment. Parce que dès que j'en aurai l'occasion, je te jure que tu regretteras la mort de Rosalinda !
- Tu te laisses aveugler par ta peine et je le comprends, répliqua-t-il sourcils froncés.

Je lui ris en pleine face, le corps tendu.

- De la peine ? Ça s'appelle de la haine ! C'est bien plus mortel, crois-moi !
- Rentrons ! Tu as besoin de repos !

Memento Mori - Série FaidaOù les histoires vivent. Découvrez maintenant