XVII - La traversée des marais (2)

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Au bout de deux grosses heures de marche, aux airs de funérailles, Mac'Allys ordonna au groupe de s'arrêter. L'équipe était parvenue à atteindre une grande zone terreuse d'une dizaine de diamètre, où des nuées d'insectes voltigeaient. Dissimulée dans les herbes denses, une multitude de longues feuilles en corolles sombres et verdâtres était abaissé sur pratiquement la totalité du sol.

« Ne bougez plus ! intima Mac'Allys. Nous allons devoir faire demi-tour. »

« Pourquoi ? désespéra Elie. Ça fait déjà trop longtemps qu'on erre dans ce marécage... »

« Je le sais... Mais si nous tenons à la vie, nous devons faire demi-tour ! Il n'y a pas d'autres issues sur ce terre plein et regardez au sol ! »

Luke, Elie, Gaïl puis Emma baissèrent la tête et remarquèrent les corolles.

« Ce sont les dionées de Vénus dont je vous parlais... Le sol en est jonché et... »

Mac'Allys n'eut le temps d'achever sa phrase. A leur opposé était apparu ce qui pourrait ressembler à une grosse dinde. En beaucoup plus gros, avec beaucoup plus de plumes et en beaucoup plus moche... Le groupe surpris par cette intrusion et par la dimension du volatile se mit à hurler et tous rebroussèrent chemin en paniquant. Derrière eux, la dinde s'élançait à leur poursuite, poussant des glougloutements voraces. Alors que les aventuriers prenaient la fuite, dans leur dos, la dinde commença à s'affoler. Intrigué par le changement de son cri, désormais plaintif, Gaïl s'arrêta dans sa course, se retourna et contempla les lois de la nature qui s'exerçaient devant lui.

L'imposant volatile, dans la chasse de son repas hypothétique, avait foncé en plein milieu des corolles des dionées de Vénus. Malgré la robustesse de son corps et sa masse élevée, la dinde était à présent piégée dans un des lobes, ses pattes collées par la substance sécrétée par la dionée. Lentement, mais sûrement, la plante carnivore se refermait sur sa proie, entamant le processus de digestion. Bientôt, les demi-lunes de la dionée se retrouvèrent à la verticale, scellant pour de bon le destin de l'animal à l'intérieur qui glougloutait frénétiquement.

Abasourdi par ce qu'il venait de se produire sous leurs yeux, toute l'équipe d'aventuriers restait pantoise devant le champ de dionées. Plus aucun bruit ne résonnait des corolles. La dinde avait cessé ses plaintes. Seul le bruit des moustiques volant aux alentours des attrapes mouches géantes tranchait avec ce silence gênant.

« Vous voyez pourquoi il faut faire demi-tour ? » soupira Mac'Allys.

Les quatre amis acquiescèrent en silence de la tête, mais aucun ne pouvait bouger, encore étourdis par cette démonstration naturelle. Tous revoyaient la taille plutôt conséquente de la volaille et l'animal se faire ingurgiter sans problème par une plante d'à peine un mètre de hauteur. La situation était aussi incroyable et hallucinante que terrorisante et affolante.

Pendant cet état de léthargie, la nuée de moustique se rapprochait des cinq jeunes gens immobiles. Ce fut Elie qui s'en rendit compte, lorsque leur bourdonnement s'intensifia à ses oreilles.

« Bon... Les batraciens, les dindes, les plantes... Ces moustiques ne m'inspirent plus grande confiance... Allons-y Mac', faisons demi-tour... »

« J'allais vous le suggérer à nouveau, chers amis. » répondit l'intéressé.

« Oui... Ces marais n'ont rien à voir avec le reste de WhisperBay. Partons ! » conclut Luke.

Et alors que tous les cinq s'apprêtaient à quitter le terre-plein des dionées, la nuée démarra un vibrato intense et passa à l'offensive. Les moustiques se ruèrent avec hargne sur chacun des aventuriers, comme si ces insectes avaient entendu le départ de leurs proies sonner. Envahis par tous ces culicidés, tous les membres de l'expédition prirent leurs jambes à leur cou, courant là où leur instinct leur disait d'aller. Bataillant et brassant des mains et de bras, ils tentaient d'échapper aux maringouins qui les attaquaient de plus belle. Ils prient une direction aléatoire et s'enfoncèrent un peu plus dans les marais de WhisperBay, se fichant éperdument de savoir où ils allaient.

Ce n'est qu'au bout d'une quinzaine de minutes, après une lutte énergique contre ces nuisibles, que la troupe souffla et s'arrêta, au beau milieu des marécages.

« Tout le monde va bien ? Personne n'est blessé ? » demanda Luke, respirant à plein poumon pour reprendre sa respiration.

Tous le rassurèrent. Plus de peur de que mal. Ils ne savaient pas si c'était le répulsif d'Elie ou pas, mais ni elle, ni Gaïl, Luke ou Emma ne furent piqués pendant l'affront. Seul Mac'Allys ressentit une légère démangeaison au niveau du cou. Il y passa sa main et repéra un petit bouton légèrement chaud. D'un doigt il se gratta la plaie créée, mais n'y prêta guère d'attention supplémentaire et invita les autres à poursuivre la traversée du marais. Sortant une boussole et une carte des contrées de WhisperBay, le plus âgé de la troupe indiqua la route à poursuivre.

La suite de ce périple se passa sans encombre. Luke crut apercevoir à un moment une grenouille de couleur rouge et bleu, mais celle-ci s'échappa en croassant rapidement. Aucune autre dinde ne les força à nouveau à fuir dans les profondeurs du marais. Et personne ne fut effleuré par une quelconque plante toxique.

Lorsque le groupe parvint, à l'horizon, à apercevoir la fin de ce palude infini à leurs yeux, une morosité ambiante avait gagné l'esprit de chacun. Les légendes disaient vrai, le marais de WhisperBay absorbait sans conteste les joies de ceux qui osaient le parcourir. D'après Gaïl, il restait un à deux kilomètres avant d'atteindre la frontière de la région. Cet apport d'information redonna un peu de dynamique aux aventuriers. Ils allaient enfin pouvoir quitter ces terres hostiles et décourageantes. L'idée de respirer un air plus frais et plus sein remotiva les quatre amis. De ce fait, et sans s'en rendre compte, ils accélérèrent la cadence.

Derrière eux, subitement las et pris d'une fatigue étrange, Mac'Allys peinait à les suivre. Ses pas s'alourdissaient. La respiration haletante, il s'essoufflait à en cracher ses poumons. Il suait à grosses gouttes, trempant ses vêtements déjà humides par l'environnement salin. Il tenta de crier pour prévenir ses compagnons de l'attendre, qu'il se sentait mal, mais ses mots s'étouffèrent dans sa gorge. Piétinant dans la boue, il réitéra son appel de détresse quand sa vue commença à se troubler. Paniqué, son instinct de survie et ses forces vitales l'abandonnaient. Il s'écroula sur le sol. Par chance, il ne chuta pas sur une zone aqueuse mais sur la terre crasseuse. Des frissons envahissaient Mac'Allys. Il avait froid.

Alors que Mac'Allys subissait l'agonie, Gaïl, Luke, Emma et Elie s'apprêtaient à quitter pour de bon les marais de WhisperBay. Heureuse et enjouée, Elie s'exclama :

« Ah, enfin ! J'ai cru qu'on ne sortirait jamais de cet endroit de malheur ! »

Constatant l'absence d'un des leurs, elle enchaîna :

« Eh, mais... Où est Mac' ? »

Les Miroirs du Temps - TERMINÉOù les histoires vivent. Découvrez maintenant