(Extraits de l'article du Figaro du 10 mai 1902, page 2. Article signé Marc Landry. Cet article est inséré dans les carnets d'Arthur, plié dans une enveloppe pour le conserver)
LA CATASTROPHE DE LA MARTINIQUE
La ville de Saint-Pierre anéantie
Une dépêche transmise par Saint-Thomas, l'une des Antilles danoise, a annoncé hier qu'une effroyable catastrophe était survenue, jeudi matin, à la Martinique.
La ville de Saint-Pierre a été entièrement détruite par une éruption du volcan de la Montagne Pelée. Presque tous les habitants - 20,000 âmes, dit-on - ont péri. Les navires au mouillage sont tous perdus.
Il faut remonter au désastre d'Herculanum et de Pompéi, l'an 79 de notre ère, ou à l'anéantissement de Lisbonne au dix-huitième siècle, pour trouver trace d'un cataclysme pareil, qui jettera la consternation dans tout le monde civilisé.
C'est un navire, présent sur rade au moment de l'éruption, le Roddam, qui a apporté cette nouvelle à Sainte-Lucie, d'ou elle a été expédiée à Saint-Thomas. On a pu croire au premier instant que l'horreur de cette catastrophe avait été exagérée ; mais un télégramme reçu hier matin au ministère de la marine et émanant du capitaine de frégate Le Bris, commandant du croiseur Suchet, en station aux Antilles, ne laisse, hélas! plus aucun doute.
Voici cette dépêche, que son laconisme rend terrifiante :
« Pour Paris, de Fort-de-France, dépôt le 8-5-02 à 9h55 du soir
Commandant du Suchet à Marine, Paris
Reviens de Saint-Pierre, ville complètement détruite par masse de feu vers 8h du matin. Suppose toute population anéantie. Ai ramené les quelques survivants, une trentaine. Tous navires sur rade incendiés et perdus. Eruption volcan continue. Je pars pour Guadeloupe chercher vivres. L'éruption du volcan continue»[...]
La ville de Saint-Pierre est - ou plutôt était ! - bâtie en demi-cercle le long de la mer. C'était une jolie ville avec des rues larges et tracées au cordeau, que de nombreux parcs et jardins agrémentaient. Dans la crainte des tremblements de terre, beaucoup d'édifices étaient construits en bois. Les dernières maisons de la ville s'appuyaient sur des mamelons qui sont comme le prolongement des derniers contreforts de la montagne Pelée. Elle était donc directement exposée à un grand danger si la coulée des laves ou des cendres se faisait par le Sud. Or, les choses se sont passées ainsi, semble-t-il.
C'est lundi dernier 5 mai que la montagne Pelée est entrée en éruption, rejetant tout à coup des cendres et des fumées.
[...]
Voici les télégrammes qui nous sont parvenus en dernière heure :
New-York, 9 mai.
Le commandant du Suchet annonce que jeudi, dans l'après-midi, Saint-Pierre étant entièrement couvert de flammes, il fit des efforts pour sauver une trentaine de personnes plus ou moins grièvement brûlées sur des vaisseaux du port. Il envoya ses officiers à terre avec des chaloupes à la recherche des survivants ; mais il leur fut impossible de pénétrer dans la ville. Ils aperçurent sur les appontements des monceaux de cadavres. On croit qu'aucun habitant de Saint-Pierre n'a pu échapper. Le gouverneur de la colonie, le colonel de sa maison militaire et sa femme, qui se trouvaient à Saint-Pierre, sont probablement au nombre des morts.
On apprend de Saint-Thomas que le Suchet est arrivé ce matin â la Pointe-a-Pitre.
Le vapeur anglais Esk est arrivé ce matin à Sainte-Lucie. Il a passé hier au soir à cinq milles de Saint-Pierre ; il a été néanmoins couvert de cendres. Des ténèbres impénétrables enveloppaient la ville. Une chaloupe de l'Esk fut envoyée en reconnaissance aussi près que possible du rivage- mais elle ne put apercevoir aucun signe d'êtres vivants; elle ne vit que des flammes et le navire anglais Roraima faire explosion et s'engloutir.
Le capitaine du Roddam se trouve à l'hôpital à Sainte-Lucie. Tous les officiers et mécaniciens du Roddam sont morts ou mourants; presque tout l'équipage est mort. Le subrécargue et dix hommes de l'équipage, qui avaient sauté par-dessus bord à Saint-Pierre, ont péri.
New-York, 9 mai.
Suivant une dépêche de Saint-Thomas, on estime actuellement à 40,000 le nombre des personnes qui ont péri, victimes de l'éruption de la Martinique.
Washington, 9 mai.
Le consul des Etats-Unis à la Pointe-à-Pitre télégraphie aujourd'hui à M. Hay que dix-huit navires ont été brûlés et engloutis avec tous ceux qui étaient à bord. De ce nombre quatre étaient des Etats-Unis. Le consul des Etats-Unis et sa famille seraient au nombre des victimes. Un navire de guerre est arrivé à la Guadeloupe pour s'approvisionner et en partira demain.
New-York, 9 mai.
Suivant une dépêche de Saint-Jean-de-Porto-Rico, on annonce de la Dominique que le vapeur Grappler, chargé de la réparation des câbles sous-marins, est perdu avec tout son équipage dans le désastre de la Martinique. C'est un des premiers navires qui disparurent,
Un schooner arrivé à la Dominique de la Martinique, annonce également que plus de quarante mille personnes ont péri.
Londres, 9 mai.
Une note communiquée aux journaux dit que le Foreign Office n'a encore reçu du consul d'Angleterre à Saint-Pierre aucune nouvelle au sujet de l'éruption volcanique ; mais on suppose que cela tient à la rupture des câbles.
(Par dépêche de notre correspondant.)
Londres, 10 mai, 1heure.
Le correspondant du Daily Mail la Jamaïque reçoit par câble de Sainte-Lucie les nouvelles suivantes :
« Le steamer Roraima, de la Quebec Steamship Company, parti de la Dominique mercredi soir, à destination de Saint-pierre, a été englouti par une vague énorme provoquée par le tremblement de terre. L'équipage a péri.
» Le seul navire dans tout le port qui ait été sauvé est le Roddam, qui était parti de Sainte-Lucie, mercredi dernier. Le bateau quitta le port de Saint-Pierre sous une terrible pluie de lave et fut sérieusement endommagé. » Les survivants de l'équipage du Roddam dépeignent la scène comme infernale. Dix-sept hommes de l'équipage périrent; plusieurs furent grièvement brûlés.
» Saint-Pierre offre l'aspect de Pompéi enseveli sous les cendres. La population entière à péri.
* (titre en créole) : "Martiniquais ! vous êtes maudits !"
Photo : les ruines de Saint-Pierre après la catastrophe du 8 mai 1902
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Ubi Sunt
Adventurejuillet 2015 - août 1902 J'ai découvert Arthur l'été 2015 lorsque j'ai trouvé ses lettres et ses carnets au fond d'une malle. De vieux papiers jaunis et tachés, certains à peine lisibles. Des lettres retenues en paquets par des rubans noués. Des pho...