17 : A.

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"Si, malgré cela, vous ne m'écoutez point, je vous châtierai sept fois plus pour vos péchés."

— Lévitique‬ ‭26:18‬ (Louis Segond).

Abischag se pencha sur son tableau, agitant frénétiquement un marqueur entre ses doigts. Elle y avait écrit les noms de toutes les victimes du Kissing Killer, et en dessous de ceux-ci, les derniers mots du tueur qui leurs étaient attachés.

— Je ne comprends rien. En dehors de moi, quel est le lien entre toutes ces victimes ? Ivan Gordon, Lillian Shelby, Oral Bottom, Vera Andersen, et maintenant Elisha Oh. Je me refuse de penser qu'Ivan était un cas isolé. Tout ce que je sais, c'est que ce sont des gens avec qui j'ai été en contact, à un moment donné. Y aurait-il un indice concernant les messages du Kissing Killer ? Non on a fait le tour. Ça n'a rien avoir avec les messages. Ils n'ont servi qu'à me faire comprendre que cela m'était réellement destiné à moi. Par exemple, par "Things I do for love", je comprends qu'il a tué Ivan par amour pour moi. Sauf que ça m'a fait une belle jambe.

Abi saisit une éponge et effaça l'entièreté du tableau. Puis, de son marqueur, elle écrivit dessus à nouveau les noms de toutes les victimes de façon verticale, selon l'ordre de leurs meurtres.

— Abi, réfléchis... Mon père disait toujours que lorsqu'on ne parvenait pas à trouver la réponse, cela voulait dire que la réponse était le plus souvent sous notre nez. Je sais que ce tueur me vise. Son rendez-vous à Buddy and Us le confirme. Quoi que... Ses messages le confirment. Il me veut moi. Mais pourquoi tuer des gens ? Pourquoi ne pas juste m'avoir directement envoyé des messages disant qu'il me voulait ? Et puis, me vouloir, qu'est-ce que ça veut dire, exactement ? Me tuer ? Si c'était le cas, il l'aurait déjà fait. M'avoir pour lui toute seule ? Encore une fois, il n'avait pas besoin de tuer d'autres gens, pour ça. Et puis, je ne suis pas lesbienne, s'il s'agit effectivement d'une femme, et je n'ai jamais été sollicitée par une autre femme. Alors pourquoi ? Pourquoi ces victimes ? Pourquoi seulement dans cet ordre-ci ? Et pourquoi maintenant ? Est-ce que ce que le message caché se trouve dans les victimes en elles-mêmes ? Ou alors...

Abi fixa attentivement les noms sur le tableau.

— Ou alors, dans leurs noms ? Le Kissing Killer est quelqu'un d'intelligent. Suffisamment intelligent pour ne laisser vraiment aucun indice. Suffisamment intelligent pour se fondre à chaque fois dans la masse. Suffisamment intelligent pour que personne n'ait sa véritable identité. Suffisamment intelligent pour que personne ne revoie deux fois le même visage exact. Je pense donc qu'il est suffisamment intelligent pour ne rien faire au hasard. S'il l'a fait dans cet ordre là, il y a une signification ou une raison. Ou, au moins, qu'il y a un message qu'il veut que je comprenne. Mais quoi ?

Abi regarda à nouveau attentivement les noms.

— Est-ce qu'il faut que je comprenne les choses en anagramme ? Non... Ce serait ridicule. Est-ce en lien avec le moment de la mort ?... Peut-être... Oh ! Attends une minute !

Elle bondit de son siège, saisit à nouveau l'éponge et effaça tous les noms, tout en prenant le soin de ne laisser que les premières lettres de chaque prénom.

— Mais oui ! Ça fait un I, un L, un O, un V et un E ! Autrement dit, "I LOVE" ! Il est amoureux, c'est encore plus certain. Et il lui faut un dernier meurtre pour compléter la phrase. Et je pense que ce dernier meurtre, ce sera moi. Ce qui explique pourquoi il a indiqué l'adresse du rendez-vous. Ce qui explique ce qu'il s'est passé, tout à l'heure. Ce qui explique pourquoi il a répondu "You", quand je lui ai demandé ce qu'il voulait. Je serai donc son ultime sacrifice, la dernière pièce de son puzzle, un crime passionnel... S'il veut me tuer, qu'il le fasse et qu'on en finisse. De toutes les façons, qu'ai-je d'autre à perdre ? Qu'ai-je à conserver ? J'ai perdu toute ma famille. J'ai trahi tous mes amis. J'ai déçu ceux qui avaient confiance en moi. Je ne suis même plus vierge. Mon boulot bat de l'aile. Je n'ai rien à perdre. Mourir est la meilleure des solutions. J'aurai toute ma vie vécu emprisonnée de mon passé, mais, paradoxalement, en le refoulant de toutes mes forces. J'aurai aimé. J'aurai survécu. Je suis prête à mourir dans les bras de celui qui m'aime au point d'arracher des vies humaines qui en valaient la peine rien que pour moi. Des vies qui vivaient pour quelque chose. Ivan vivait pour Grâce et pour son futur bébé. Lillian vivait pour Kronos. Oral vivait pour sa réputation. Vera vivait pour Brokenjaws. Elisha vivait pour son cartel. Je suis la seule qui ne vit pour rien. Peut-être dans mon dernier soupir, reconnaîtrai-je celui qui m'a tant aimée. Peut-être est-ce pour ça que je me sens observée : c'est mon mystérieux amoureux qui épie mes faits et gestes. Sauf que... Oui, c'est poétique, mais ça n'a pas de sens. Vraiment, pas de sens. S'il veut me tuer, pourquoi dit-il vouloir me protéger et me chérir ? Pourquoi menace-t-il de tuer mon père d'accueil, alors qu'il serait beaucoup plus facile de me tuer moi directement et surtout, que le puzzle n'en sera que plus parfait ?... Hum. On pense trouver une réponse, sauf que dix mille autres questions se posent. Il n'est pas facile de rentrer dans la tête d'un meurtrier.

LowellOù les histoires vivent. Découvrez maintenant