Joséphine ou l'art de se faire aimer de ses patients

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Comme toujours, il se leva aux aurores. Se redressant péniblement il regarda autour de lui. La chambre était blanche, elles étaient toujours blanches. Sur la table à côté du lit, pas de fleurs, seulement le plateau-repas qu'il n'avait touché la veille. Prenant appuis de ses deux mains sur le matelas trop fin pour son dos noueux, il se leva. Mais après une misérable tentative de pas, il s'écroula lourdement sur le sol froid. Serrant les dents pour ne pas hurler il lui semblait que ses vieux os, beaucoup trop fragiles, venaient de se briser. Des larmes de rage perlèrent au creux de ses yeux, voila à quoi il en était réduit. Autrefois fier marin, il avait toute sa vie sillonné les mers au commande de son navire, Le Rafiot, ne reculant devant aucune vague, ne courbant l'échine devant aucune tempête, respecté par ses collègues, aimé par son équipage, il avait épousé l'océan. Et maintenant il était là, recroquevillé misérablement sur le sol trop froid, trop dur pour son corps trop maigre, trop frêle. Lentement, il se redressa et tendit le bras, le souffle court, le corps endolori, pour appuyer sur le bouton d'appel, se haïssant de devoir quémander l'aide d'une infirmière.

"Monsieur Lichot! Mais que faites-vous par terre? Ne me dites pas que vous avez essayé de vous lever!"
Il ferma les yeux. Maudite Joséphine. C'était un petit bout de femme, brune, pas bien grande, rondelette, et qui corrigeait sa myopie par de grosses lunettes rondes à double foyer qui lui faisaient des yeux de mouche. Les mains sur les hanches elle bougonnait,l'air plus contrarié qu'inquiet, mais finit par s'avancer pour redresser son patient avec douceur. Malgré ses grands airs ses mains fortes étaient toujours animées de tendresse et ses doigts habiles étaient très professionnels. En somme c'était une femme plutôt bruyante mais une excellente infirmière.

"Monsieur Lichot, vous savez bien que vous êtes trop faible pour vous relever, à votre âge avancé on ne se remet pas d'une crise cardiaque en deux jours.
-Je veux marcher.
-Tout d'abord permettez moi de vous indiquer qu'en bon français on dit "Je voudrais" et non pas "Je veux". Et pas la peine de souffler ainsi quand je vous parle un peu de tenue je vous prie! Ensuite, au risque de me répéter vous êtes trop faible pour marcher, vous avez besoin de beaucoup de repos.
-Il faut que je sorte de cette chambre je vais devenir cinglé.
-Eh bien il faudra faire votre miraculeuse sortie en fauteuil roulant!"
Il maugréa quelque réponse incompréhensible et Joséphine sourit tendrement. Elle lui ramena un fauteuil et le pris par les aisselles pour l'aider à s'y assoir, malgré ses réticences à se faire assister. Immédiatement il enserra les roues de ses longs doigts fatigués par les rhumatismes et donna une impulsion pour s'éloigner de sa geôlière. Filant dans les couloirs du service gériatrie de l'hôpital Sainte Félice il se mit à visiter les lieux, en bon marin qu'il était il tenait à apprivoiser les flots hostiles que représentait ce bâtiment tout de blanc vêtu. Il parvint à une spacieuse salle de repos. Deux vieux jouaient au tennis de table dans le fond, un autre fronçait les sourcils sur ses mots croisés, et un dernier en fauteuil roulant lui offrait son dos, assis face à la fenêtre. Il allait passer son chemin sans accorder à cette pièce plus d'importance, quand Joséphine entra et s'approcha du vieux près de la fenêtre. Elle pressa doucement son épaule.
"Monsieur Michel, une visite pour vous."
Le vieux posa sa main sur celle de l'infirmière et se retourna. Il sembla à Monsieur Lichot avoir déjà entendu ce nom.
"Merci mon petit".
Le vieux quitta la pièce, et, passant près de lui, plongea dans ses yeux un étrange regard bleu avant de s'éloigner dans le couloir. Monsieur Lichot fronça les sourcils. Le nom lui revint, c'était celui qui avait chassé Joséphine de sa chambre, c'était l'aide providentielle.

Les deux vieux qui voulaient voir la merOù les histoires vivent. Découvrez maintenant