Joséphine ou comment mener l'enquête sur un retraité pour ne pas mourir d'ennui

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Le jeudi matin Joséphine n'avait pas beaucoup de travail. Elle n'avait jamais beaucoup de travail. Reléguée au service gériatrie d'une petite ville de Bretagne, ses patients se comptaient sur les doigts des mains, aussi mettait-elle un soin particulier à les bichonner. Monsieur Michel, parmi tous était son petit préféré. En attente de sa transplantation cardiaque il était parti pour mariner dans son petit hôpital jusqu'à la fin des temps, pour son plus grand plaisir à elle. Il ne parlait pas beaucoup, mais il savait écouter, et ne montrait jamais la moindre réticence à l'entendre parler. Et comme tout bon moulin à parole qui se respecte, Joséphine aimait avoir une oreille pour qui déblatérer. Monsieur Michel connaissait toute sa vie, de sa naissance en Lozère jusqu'à son repas de la veille, en passant par la date de ses premières règles. Il ne l'avait jamais jugée, jamais remise en question, et se contentait de l'écouter patiemment en dodelinant gracieusement de la tête de temps à autres. Joséphine avait bien tenté de lui rendre la pareille en lui posant quelques questions mais il était toujours précis et concis dans ses réponses, ne s'attardant jamais. De nature curieuse elle avait également tenté de soutirer quelques informations à sa fille mais cette dernière, expert comptable, était toujours très pressée et n'avait que peu de temps à lui accorder. La vie de monsieur Michel restait donc un mystère pour Joséphine. Néanmoins en arrivant ce mercredi matin, elle sentit que quelque chose avait changé dans l'attitude du vieillard. La veille elle l'avait aperçu au côté d'un nouveau venu, mais elle n'en avait pas été étonnée. Nombreux étaient ceux qui s'étaient approchés de son septuagénaire favori mais comme il n'aimait ni causer météo, ni jouer au scrabble ils abandonnaient bien vite, et Joséphine n'exagérait que peu. Alors quand elle l'avait vu entiché du même acolyte que la veille, sa curiosité avait été piquée. Elle aurait menti si elle avait dit les avoir trouvés menant un débat animé, ou même une conversation amusée, mais ils parlaient et c'était déjà un début. De plus, monsieur Michel souriait. Enfin, c'était plus un léger rictus élégant qui pointait de temps en temps qu'un franc sourire, mais tout de même. Après des mois où elle s'était évertuée à parsemer ses monologues des touches d'humour les plus tordantes, jamais elle n'était parvenue à décrocher chez l'homme le moindre étirement de lèvres. Contre toute attente, il semblait que monsieur Michel se soit fait un ami.

Les deux vieux qui voulaient voir la merOù les histoires vivent. Découvrez maintenant