Les lumières rouges et blanches valsaient autour de ses yeux fatigués. Ses lèvres fines entrouvertes, sa respiration se faisait sifflante, douloureuse, épuisante. Tout geste lui semblait herculéen, aussi n'avait-il pas la force de se redresser. De toute manière il serait retombé aussitôt, tant son lit tremblait et ballotait en tout sens. Avec une lenteur infinie il tourna la tête, sentant les rouages de ses cervicales grincer. Parmi la foule d'images rendues floues par sa vision défaillante il reconnut des murs blancs qui défilaient à toute vitesse. Sa mémoire capricieuse lui revint: il coupait des navets seul dans son petit appartement vide, puis une douleur lancinante au bras l'avait pris avant de gagner sa poitrine, coupant sa respiration. Il avait voulu prendre son téléphone mais n'avait pu se remémorer le numéro des urgences. Puis plus rien, le noir absolu. Aussitôt son cerveau encore vif pris le relais pour dessiner les pièces du puzzle que ses souvenirs brumeux ne pouvaient lui fournir. Il devait être sur un brancard dans un hôpital, suite à une crise cardiaque. Comment s'était il retrouvé là? C'était ce qu'il ne s'expliquait pas. Soudain il fut fatigué de réfléchir et de se battre pour maintenir ses paupières si lourdes ouvertes. Il se résigna et s'abandonna au sommeil.
"Monsieur Lichot, monsieur Lichot vous m'entendez?"
Oui il entendait bien cette voix qui hurlait dans ses oreilles déjà percluses d'acouphènes alors qu'il tentait vainement de gagner le sommeil du juste. Il grogna amèrement.
La voix criarde reprit:
"Ah c'est un plaisir de vous entendre. On a bien cru vous perdre, vous avez bien failli ne jamais vous réveiller vous savez? Vous êtes un sacré chanceux, ah ça oui! Vous devriez jouer au loto ce soir! "
Mais allait-elle un jour se taire? Ne laissait-on donc jamais reposer les méritants?
"Vous avez fait une crise cardiaque, seul dans votre appartement. Vous pensez bien que c'est fréquent pour les gens de votre âge, mais s'ils sont seuls, ils savent au moins se servir d'un téléphone. Vous n'êtes pas très prudents vous alors, à votre âge avancé, se permettre des folies pareilles, non ce n'est décidément pas très prudent."
Il aurait donné un royaume pour qu'elle ferme son claquet, malheureusement il ne possédait qu'un petit appartement.
"C'est votre voisine, madame Martine qui est entrée pour vous apporter votre courrier, et elle a bien cru que vous aviez trépassé! Vous me direz vous n'êtes pas passé loin ah ça non! Moi je connais une dame..
-Joséphine! Veuillez laisser ce pauvre bougre dormir pour l'amour de Dieu! Ce n'est pas permis d'importuner les bonnes gens au repos!"
Une nouvelle voix venait de faire son entrée, masculine cette fois, bien que légèrement feutrée.
"-Oh c'est vous Monsieur Michel? Vous m'avez flanqué une trouille pas possible. J'essayais juste de tenir compagnie à ce monsieur.
-Oui eh bien ce monsieur viendra vous chercher quand il en aura le besoin allez maintenant oust!
-Très bien très bien, j'y vais monsieur Michel.
-Merci mon petit."Ç'avait été une aide inattendue, providentielle même. Joséphine avait peut-être raison, toute horripilante qu'elle était: c'était peut-être bien son jour de chance après tout. Au bout de quelques instants la porte se ferma doucement et il retenu sa respiration pour tenter de percevoir tout autre bruit. Rien. Il semblait être seul. Remerciant le ciel, il referma les paupières, son vieux corps épuisé de tant d'efforts.
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Les deux vieux qui voulaient voir la mer
Short StoryDeux vieux, du fin fond de leur hôpital, n'ont qu'un seul rêve: voir l'océan.