Chapitre 25 : D'un chagrin pudique à l'énigme

64 16 8
                                    

Je me relève, les jambes tremblantes, le regard fixé en direction de l'endroit où la prophétie vient de se réaliser.

Un grand silence remplit la forêt. Même les sapins s'arrêtent de frémir au rythme de la brise.

Ted.

Pauvre Ted.
Lui qui ne voulait pas croire en sa Mort, voilà qu'il n'est plus que souffrance et malheur...

Arta sort de derrière un sapin :

- Il devait en être ainsi. Ted devait mourir, depuis le début. C'était obligatoire. Maintenant, la porte du monde des Vivants pourra éclairer le passage du retour.

Le manque d'émotion dans sa voix me fait frémir. Se peut-il que les Morts ne puissent plus ressentir ni émotions ni sentiments ?

De mon côté je suis dépassée par les événements.

Je me rappelle brusquement ma conversation avec Ted, lorsqu'il s'était réveillé avec dans l'esprit un nouveau souvenir.

Il m'avait raconté l'incendie, l'anniversaire de son amie Chloée, la douleur qu'il avait ressenti...
Il s'était confié à moi.

Ted avait un bon fond.

Et puis... quand j'y repense, nous n'avons pas été très sympa avec lui, dès le début en plus. Surtout Isaac.

Personne ne répondait à ses questionnement, personne n'a apaisé sa peur, n'a essayé de le consoler. Même pas moi.

Je regrette.
Je regrette tellement...

Pourtant je ne pleure pas. Je ne le connaissais pas vraiment. Après quatre jours passés ensemble, on ne peut pas se faire d'illusions : on ne se connaissait pas, pas assez pour que je pleure sa perte, mais assez pour que ma respiration s'accélère à m'en donner la nausée et que mon essoufflement dû à notre course ne s'arrête jamais.

Des regrets, de la nostalgie.
Et la fatalité de ce qui nous attend tous un jour ou l'autre.

Le silence laisse alors place à quelques sanglots nerveux de la part de Lia. Je ne pense pas qu'elle pleure par émotion. C'est plutôt l'horreur des Ombres Errantes qui la ronge.

- Bon allez, on y va.

Je sursaute.

- Les Morts s'occuperont du corps de Ted comme il le faut. Allez, venez.

Je mets du temps à suivre le mouvement. Je ne cesse de regarder Ted, dont l'âme s'est échappée de son corps à jamais. Il est resté dans une position grotesque, ses yeux étonnés grands ouverts.

Isaac vient m'encourager à partir. Il pose sa main sur mon épaule. C'est un geste rassurant.

J'en profite pour fermer les yeux et affronter mes pensées noires une bonne fois pour toutes.

Ensuite, enfin, mes pieds avancent machinalement. Je sais que notre voyage dans le monde d'Après est parvenu à sa fin.
Un étrange phénomène survient.

Au milieu des sapins frémissants se tient à présent un cercle lumineux. Le Dieu de l'imagination est revenu à nos côtés. Il ne parle pas, mais déploie sa lumière pour ouvrir le passage.

À première vue, on dirait un miroir. Un miroir sans fin, dont la surface n'est ni gazeuse, ni liquide, ni solide. Il nous faut passer à travers.

Cependant, c'est impossible. Un Sphinx se dresse juste devant, nous barrant le passage.

La créature est fidèle à l'image que l'on trouve sur les livres. Il est assis, l'aspect félin, et sa peau est jaune. Son visage est celui d'un chat intimidant, qui mesure pas moins de quatre mètres de haut.

- Laisse-nous passer, Xisphn, rugit aussitôt Arta d'un air menaçant.

- Bien sûr, répond la créature d'une voix rauque et posée, sans pour autant ajouter le geste à la parole.

J'écoute à moitié ses propos. Je suis encore submergée par ce qui est arrivé à Ted.

- À une seule condition, poursuit le Sphinx.

- Laquelle ? coupe froidement Arta.

-Répondez à mon énigme et je vous laisserai passer.

Je tourne la tête, déprimée.
Encore une épreuve. Moi qui croyais que tout était enfin terminé...

- Tu n'as pas de condition à nous donner ! clame Arta d'un air digne.

À ces mots, Victor s'avance d'un bond, levant la main en signe de paix :

- Non, Arta ! Ne l'attaque pas !Entendons son énigme, nous aviserons ensuite !

Arta hoche la tête, grommelant tout de même quelques paroles indistinctes.

Le Sphinx se redresse et annonce :

- La voici : Je suis invisible comme un rien, mais tu peux m'entendre. Tu peux me prononcer mais si tu me répètes, je disparais...Qui suis-je ?

J'en reste bouche bée.
Personne ne répond. Aucun de nous n'a la réponse. Peut-être que Ted l'aurait, s'il avait encore été là...

Je réfléchis alors à voix haute :

- Invisible comme un rien...hmm...l'air ? Tu peux m'entendre....le son ? Tu peux me prononcer...une parole ? Si tu me répètes, je disparais. Heu...

- Quelque chose qu'il ne faut pas répéter...ajoute Lia en pleine réflexion. Une insulte ?

- JE SAIS, hurle soudain Victor. UN SECRET !

Je manque de me jeter à son cou sous le choc. Victor a trouvé !

Il a raison : le secret est invisible. Le secret peut être entendu et prononcé, mais si il est répété ce n'est plus un secret.

Victor vient de nous assurer le billet du retour.

After WorldOù les histoires vivent. Découvrez maintenant