Chapitre 26 : D'un numéro sur post-it au monde des Vivants

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Le Sphinx acquiesce la réponse de Victor :

- Tu as l'esprit vif, jeune homme. Puisse le sort t'être favorable.

Sur ce, la créature se relève, nous toise du regard pendant encore une fraction de seconde puis s'éloigne de nous et disparaît dans l'ombre des sapins.

Devant nous, la lumière du Dieu illumine toujours le passage.

- Alors c'est la fin du voyage ? balbutie Isaac.

- Oui. C'est la fin.

Je chuchote, prise d'un élan d'affection :

- Merci pour ton aide, Arta. Tu vas nous...manquer.

Il sourit d'une bouche sans lèvres, puis conclue :

- Ce n'est qu'un au-revoir, de toute façon.

Je frissonne malgré moi.

- Allez, on y va, fait Lia en s'avançant près du passage.

Je vais pour la suivre, mon esprit focalisé sur la dépouille de Ted, lorsqu'Isaac me rattrape la main :

- Attends !

- Quoi ?

- Je voudrais que l'on reste en contact, s'il te plaît. Je vais te donner mon numéro de portable, comme ça tu pourras m'appeler dès que tu reviens à la conscience.

Je suis surprise. Une bouffée de joie commence à prendre la place de ma tristesse. À priori, lui aussi ne veut pas que notre relation s'arrête ici.

- Bien sûr, je m'écrie. Mais...tu t'en rappelles ?

- Oui, je m'en suis souvenu.

Il rit :

- Mon téléphone est aussi important que mon prénom, à mes yeux.

Isaac sort alors un post-it de sa poche arrière de jean.

- Oups, par contre, je n'ai pas de stylo.

- Écris avec l'extrémité d'un bâton, lui conseille Victor. Ça laisse une trace lorsque tu appuies bien.

Isaac hoche la tête, et je pars ramasser une minuscule branche de sapin, reviens la donner à Isaac.

- Merci, me souffle-t-il.

Il commence alors à écrire, difficilement mais en s'appliquant.
Après un petit moment à l'attendre, il me tend le papier et je le range précipitamment.

- J'espère que c'est assez lisible, grogne-t-il.

- Oui.

Arta nous observe attentivement, amusé.

Je glisse mes deux mains dans celle d'Isaac et de Lia. À l'extrémité, Victor prend lui aussi la main d'Isaac. Ainsi alignés, nous nous avançons jusqu'à l'entrée du passage.

- Promettons-nous de nous rappeler de Ted, murmure Lia.

- Je le jure, répond Victor.

Je ne sais pas si cela est dû au reflet du passage mais les yeux de Victor paraissent humides.

Ensemble, nous parvenons à franchir le miroir lumineux. Les sapins, Arta et la mousse au sol disparaissent.

J'ai l'impression de m'envoler, et, malgré moi, je suis forcée à lâcher mes compagnons. Le temps est venu de nous séparer après tout ce que nous avons vécu ensemble.

Il n'y a aucun son, seulement la vision d'une lumière vive, encore et encore.

Puis le paysage change. Le passage s'assombrit, mon corps s'alourdit fortement, et ma joie laisse place à un curieux sentiment d'indifférence, voire de douleur.

Je suis à nouveau dans le passage bleuté, et mon bien-être s'envole.

Juste en-dessous, on distingue presque un sol, un peu comme un dallage, mais ma vue reste floutée.

Au bout, l'obscurité m'attend.

Le noir complet.

Puis j'ouvre une deuxième fois les yeux, et une grande bouffée d'oxygène remplit mes poumons.

- Mélody !

Mes oreilles sont assaillies par des bruits divers, tel le bip-bip d'une machine d'hôpital et la voix rauque de ma mère.

Quatre jours.

Quatre jours que je suis dans le coma.

Ma mère se tient penchée, le visage crispé comme dans mon souvenir, en un peu plus vieille, sur mon lit du service des réanimations. À côté, un homme vêtu d'une blouse blanche s'affaire à manipuler une seringue inconnue.

C'est fini.

J'ai fait un étrange rêve. Il y avait de nombreuses créatures, toutes plus étranges que les autres, et quelqu'un mourrait. Je n'étais pas seule, il y avait d'autres adolescents avec moi.

Mon père. Je l'ai vu.

- Je perdais espoir, murmure ma mère en s'approchant de mon visage, m'embrassant timidement le front.

Je demeure intriguée par mon rêve.

Que s'est-il réellement passé ?

Dans un mouvement brusque, je sens un objet plié dans ma poche de pantalon et le sors dans un tremblement.

Un post-it jaune, avec un numéro de téléphone écrit en écorce de sapin.

Isaac.

Je me souviens de tout.

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