Chapitre 20 : D'un chant aux sentiments

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Après quelques coups de rames, la rive est déjà loin. Nous n'entendons plus que le clapotis de l'eau contre le bateau en bois.

Mes pieds se détendent enfin, tandis que mes mains travaillent à leur tour avec acharnement. Les rames ne sont pas très solides, alors je fais attention à la profondeur de l'eau pour ne pas briser le manche. Je ne sais si c'est une bonne chose, mais la profondeur est telle que je ne vois pas du tout le fond.

- Tout va bien ? nous crie Arta en se retournant.

Leur barque a pris beaucoup d'avance sur la notre.

Je vais pour répondre de façon positive à notre guide lorsque j'entends quelque chose qui m'interpelle.

Il y a quelqu'un qui chante.

Un de mes camarades peut-être ?

C'est une mélodie à la fois lointaine et intime, c'est même très beau à entendre. J'arrête aussitôt de ramer afin d'écouter pleinement cette chanson, cette musique, ce doux refrain.

On dirait que la voix provient du lac lui-même. Depuis quand l'eau chante-t-elle ?

J'ai alors la soudaine envie de plonger dans le lac pour chanter a mon tour, et rencontrer l'auteur de cette magnifique et douce mélodie.

Alors que je m'approche du bord de la barque, je distingue une autre voix, beaucoup plus grave que la première :

- Bouchez-vous les oreilles !

Je n'ai pas envie d'obéir.

Je regarde plutôt par-dessus le bord pour apercevoir la surface bleutée de l'eau, tout en me préparant à plonger.

- Les oreilles ! Mélody !

Dès que j'entends mon prénom, un déclic s'exerce dans mon esprit. Je reviens aussitôt à la raison, et mes mains viennent se plaquer contre mes oreilles. Je vois autour de moi les autres faire de même.

Sauf Isaac.

Le visage crispé, son regard demeure posé sur les vaguelettes formées par l'eau au contact de la brise.

- ISAAC ! je lui hurle.

Mais il ne m'écoute pas. Je dois réagir, et rapidement. Sinon il va plonger. Je ne trouve alors pas meilleure solution que de le frapper à la joue alors avec le plus de force que je ne le peux.

Il revient aussitôt à lui, furieux.

- Mais tu es complètement folle ! hurle-t-il, la main sur sa joue endolorie, et malgré mes oreilles bouchées je l'entends distinctement.

- BOUCHE TES OREILLES ! je m'égosille.

Me jetant un regard noir, Isaac m'obéit, et je peux admirer la marque de ma main sur sa joue.

Nous restons de nombreuses minutes sans bouger, peut-être même une heure. Dès que la voix inconnue s'arrête enfin, nous ramons à nouveau, avec la seule envie de quitter au plus vite cet endroit dangereux.

- Nous sommes au-dessus du repaire des Risenes, explique Arta tout en ramant. Mieux vaut filer d'ici. Ces créatures usent de leur voix mielleuse pour prendre au piège les Morts qui passent malheureusement par ici. J'imagine que personne ici présent ne veut finir noyé, si ?

Personne ne lui répond et nous continuons à ramer le plus vite possible. Je vois qu'Isaac n'a pas l'air dans son assiette. Est-ce à cause de moi ?

- Je t'ai fait mal ? je lui demande.

- Non ce n'est pas ça. C'est juste que...tout cela...ça me rappelle de mauvais souvenirs.

- Comment ça ?

Il hésite à me répondre :

- La façon dont je suis tombé dans le coma. Je me suis noyé.

Je reste un moment sans rien dire face à cet aveu.

Ma rame m'éclabousse un peu lorsqu'elle ressort de l'eau, mais je n'y fais pas attention, et minaude :

- Désolée pour la claque, mais c'était pour ton bien.

- Je sais.

- Qu'est ce que je dois faire pour me faire pardonner ?

Il a un sourire en coin.

- Il y a bien une chose...chuchote-t-il. Mais tu ne voudras jamais.

- Dis toujours.

Son regard captivé, il chuchote :

- Embrasse-moi.

D'abord étonnée, j'ai malgré moi un mouvement de recul, et face à cela il regrette aussitôt ses paroles :

- Non ! Oublie ce que je viens de dire, je croyais seulement que...

Il met un temps à continuer :

- Tu... je veux juste que tu saches que si je t'ai regardé pendant tout le voyage, c'est parce que je ne pouvais me résigner à te quitter des yeux. J'ai peur de te voir mourir.

Je ne sais pas quoi lui répondre. Je suis un peu honteuse d'avoir cru qu'il était en colère contre moi.

- Tu sais quoi, Isaac ?

Je me retourne, toujours en position assise. Il lève les yeux vers moi :

- Quoi ?

Mes lèvres viennent se poser contre les siennes. Quelques secondes seulement.

Le baiser s'enflamme lorsque ses mains viennent caresser ma joue, ma nuque, mes cheveux. Je ferme les yeux avant de rompre brusquement le lien, le souffle court.

- Moi non plus je ne veux pas que tu meures.

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