Chapitre 1 : D'un réveil à l'autre monde

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Mon coeur tambourine contre ma poitrine.

Mes muscles détendus, mon corps chaud, allongé, je ressens soudain quelques picotements s'élancer depuis mes joues jusqu'à mes oreilles qui me sortent de ma transe. Mes doigts parcourent petit à petit la surface plane qui supporte mon poids. Mes cheveux bruns et ondulés se soulèvent au rythme d'une brise légère, d'origine inconnue.

J'entends des voix humaines autour de moi, qui se rapprochent jusqu'à ce que je puisse entendre distinctement leur conversation.

Je décide alors d'ouvrir les yeux.

Je vois flou.

Je n'arrive plus à distinguer la couleur des formes, la profondeur des images en deux dimensions. Puis ma vue revient brusquement.

Avec anxiété, je constate que le ciel demeure d'une clarté blanche, calme et rassurante. L'azur ne comporte aucun astre : ni soleil, ni lune, ni étoiles, pas même un seul nuage.

Juste en-dessous du ciel se trouve l'horizon, souligné de verdure à perte de vue. Je reconnais quelques arbres, à leur tronc caractéristique recouvert de mousse épaisse.

Des plantes plus étranges les unes que les autres recouvrent la totalité de la partie inférieure de l'arbre.

Je n'ai jamais vu ça.

J'ai l'étrange impression qu'elles me mordront les doigts si j'ose m'approcher un peu trop près du feuillage. Puis j'aperçois les quatre silhouettes angoissées qui s'interrogent avec entrain depuis quelques minutes déjà :

- Où sommes-nous ? demande un premier.

-  Hé bien, à première vue, on dirait une simple forêt, répond un deuxième.

- Et pourquoi on est là ? questionne un autre.

- Aucune idée.

- Si je le savais, je te l'aurais déjà dit, idiot.

- Moi, je me rappelle de quelque chose, mais je ne sais pas si cela a un rapport avec la raison de notre présence ici.

- Dis toujours.

- Un détail de ma mémoire me revient brusquement. C'est l'anniversaire de ma meilleure amie, mais après cela c'est le trou noir. Niet.

L'une des silhouettes glousse nerveusement à l'évocation de ce curieux souvenir :

- Personnellement, je pense à une énorme blague, comme une sorte de caméra cachée pour une téléréalité. Nous sommes sûrement filmés en ce moment-même, et retranscris en direct sur une chaîne de la télévision.

Je fronce les sourcils.

Mes parents auraient-ils osé m'inscrire à de telles nullités, et cela à mon insue ?

Je me rends alors compte que je n'ai plus aucun souvenir de mes parents. J'ai beau fouiller dans les tréfonds de ma mémoire, il n'y a plus que l'effroyable vide qu'elle contient.

- On nous a sûrement emmenés ici pendant qu'on dormait, c'est un piège.

- Je ne crois ni à un piège, ni à une stupide blague, réplique un des jeunes garçons.

Les quatre adolescents semblent apparemment dans le même cas que moi. Ils ne savent pas où nous sommes, ni même pourquoi et comment.

Je me lève subitement, et commence par frotter mes vêtements afin d'enlever la mousse incrustée dans le tissu. On s'adresse à moi un peu sèchement :

- Et toi, c'est quoi ton nom ?

- Mélody.

- Tu sais pourquoi on est dans cette forêt, Mélody ?

- Non.

Je les observe, suspicieuse : trois garçons et une fille. Un blondinet au regard perçant s'approche, et annonce :

- Hé bien moi, je me rappelle aussi de quelque chose. Je vous préviens, ce n'est pas très joyeux : je me souviens de mes nuits passées à hôpital, alimenté par seringue, sûrement pour calmer la douleur. Oui, je suis mort d'une maladie que tout le monde connaît sous le nom de foutu cancer. Par déduction, vous devez sûrement être morts, d'une façon ou d'une autre, pour être ici avec moi.

Un silence macabre suit ses propos. Je reste partagée entre l'effrayant et le ridicule des propos, lorsqu'un garçon éclate de rire :

- Contrairement à vos idées loufoques, je suis vivant. Comment...comment aurais-je pu mourir lors d'une fête d'anniversaire ?

- Non, il a raison, tranche la fille d'une voix tremblante tout en désignant du doigt le premier garçon blond. Je me rappelle, maintenant qu'on en parle. Je me penchais, et, à un moment-donné, le bois du balcon du chalet n'a pas tenu, et ma chute a été horriblement longue.

Elle a un haut-de-coeur :

- Il a raison, nous sommes morts.

Brusquement, les flashs d'un douloureux souvenir me reviennent.

Le sang.

Le crissement des pneus.

Le fer.

Je déglutis avec difficulté :

- Je suis morte percutée par une voiture.

Un nouveau silence pesant accueille ma déclaration.

- Bon allez, c'est bon. Très drôle, votre blague, vraiment très drôle. Vous pouvez montrer la caméra, à présent ?

- Mais ce n'est pas une blague !

Le premier garçon pouffe :

- Alors nous sommes décédés en même temps ? Un peu étrange, non ?

- Ce n'est pas la seule chose ici qui sort de l'ordinaire, si tu veux mon avis. Je veux dire par là que, si on est vraiment mort, il n'y a aucune raison de se retrouver seuls dans une forêt paumée. Sincèrement, je n'imaginais pas du tout le paradis comme cela.

Je lui fais remarquer :

- À vrai dire, ce n'est pas réellement une forêt, mais plutôt un autre monde. Le monde qui nous attend après la mort.

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