Chapitre 6

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Mes yeux le supplièrent de me révéler ses intentions, mon cœur tambourinait dans ma poitrine, entre impatience et affolement. Il réfléchit quelques instants, se demandant probablement par quel moyen amorcer son dessein.

-Si ils ne savent pas que tu es une femme, ils ne pourront pas te refuser de monter à bord, commença-t-il.

-Votre raisonnement est extrêmement pertinent, lâchai-je avec un ton plus méprisant que je ne l'aurais souhaité.

-Laisse-moi terminer, je te prie.

Je hochai la tête, honteuse d'adopter un comportement que je jugeai puéril. Mes doigts longs et fins s'agitèrent et Ali vint calmer leur gesticulation en déposant sa paume brûlante sur le dos de ma main. 

-Tout se passera bien Gabi. Je connais ces pirates, si je leur livre l'emplacement d'Osman, ils ne me refuseront aucun privilège. Quant à toi, je n'aurais qu'à dire que tu es mon fils.

Je lui jetai un regard interrogateur, ne sachant que penser de sa proposition. Il me semblait tout bonnement impossible que l'on me confonde avec un individu masculin. Cleo serait parvenue à jouer ce rôle remarquablement entre sa démarche lourde et assurée, ses traits puissants ou son franc parlé. Malencontreusement, la similitude physique entre ma sœur et moi demeurait inexistante. 

-Je n'y arrivai jamais, me confiai-je.

-Tu n'as pas une voix de fillette, ça ne choquerait personne si je te donnais quinze ans.

-D'accord mais mon visage n'est pas masculin. 

-Reste discrète et tu devrais réussir à monter à bord.

-Je veux bien essayer, dis-je peu convaincue. Je n'ai pas vraiment le choix.

Je vidai mon verre, le reposai sur la table bruyamment, manquant de le briser. Ali écarquilla les yeux, visiblement surpris par mon attitude rustre.

-Il faut bien que je m'entraîne, papa.

***

A la tombée de la nuit, comme convenu, nous séjournâmes aux abords du porche de l'auberge, guettant le moindre ivrogne qui pouvait m'offrir ses vêtements.

L'impatience gagnait Ali et je l'encourageai à poursuivre ses efforts, ils étaient nécessaires et paieraient tôt ou tard. Ce fut le moment que choisi un homme pour s'aventurer hors de l'auberge en se dirigeant, à ma plus grande joie, vers moi. Il marchait d'un pas peu assuré et semblait extrêmement jeune à en juger de sa carrure puérile. L'idée d'agresser un enfant m'ennuyait réellement mais il possédait le profil idéal, il devenait impensable de reculer devant cette occasion inespérée. 

Ali m'interpella et je lui donnai, pour unique réponse, un regard révélateur. Satisfait, il hocha la tête et m'encouragea à prendre un morceau de bois. Lorsque un mètre me sépara du garçonnet, je frappai son crâne en dosant mon coup pour l'assommer quelques minutes.

-J'espère ne pas lui avoir trop fait mal, dis-je à l'intention d'Ali qui se précipita vers moi pour m'aider à dégager le corps de ma victime.

-Ne t'en fais, il devrait se réveiller d'ici peu. 

En effet, ses paupières semblaient prêtes à dévoiler ses yeux innocents. Je me hâtai de retirer son pantalon et sa veste tandis qu'Ali déboutonnait son haut d'un  geste habile.

Une fois dévêtu, nous déplaçâmes le corps du jeune homme en veillant à ne pas l'exposer à un quelconque danger. Sa respiration devenait de plus en plus bruyante, indication que son sommeil s'achèverait d'ici peu. Ali m'attira vers lui en saisissant ma manche et nous prîmes la fuite.

Nous gagnâmes les abords d'une ferme isolée, avec l'espoir d'y trouver un endroit où dormir et quelque chose à manger. Le battant de la porte ne semblait pas clos et nous parvînmes à entrer sans difficulté. Ali trouva étrange la facilité avec laquelle nous étions entrés et je hochai les épaules pour unique réponse. 

Le bruit jacassant m'indiqua que nous nous trouvions dans un poulailler. L'odeur de fiente gagnait mes narines et celles d'Ali, ce qui nous arracha un petit rire ironique.

-Pardon mesdames, s'excusa mon compagnon à l'intention des volailles en les déplaçant.

Il réussit à dégager une place et tapota sur le sol pour m'inviter à m'allonger à ses côtés. Je m'exécutai et ne pensant ni à l'odeur nauséabonde ni à la journée de demain, je m'endormis.

***

Le chant du coq me tira de mon sommeil, je plissai des yeux, mes paupières toujours lourdes et me résignai à me lever. Ali dormait paisiblement et j'entrepris d'ôter toute trace de paille dans mes cheveux avant son réveil. Puis, je me déshabillai et enfilai l'accoutrement dérobé la veille, priant intérieurement pour qu'il me seille. 

-Tiens mets-ça, dit Ali en me tendant son bandana noir.

Sa voix me fit sursauter et je le remerciai en nouant le tissus autours de mon cou dans l'espoir de masquer le bas de mon visage.

-Attache tes cheveux, me conseilla-t-il de nouveau.

Ma chevelure commençait à devenir longue mais nouée en queue de cheval basse et glissée dans mon chemisier, ce détail ne devrait pas être questionnement.

Nous partîmes en hâte de crainte d'alerter le fermier de notre venue et de rater le bateau où nous devions embarquer. Le port se dressa devant nous, d'une taille plutôt moyenne mais possédait de nombreux commerces à ses abords. 

-Luke, s'écria Ali en appelant un homme brun.

-Oh, mon vieux, ça faisait longtemps.

-Je te présente mon fils...

-Gabin, je complétai.

La masculinisation de mon prénom sembla amuser Ali et l'homme saisit ma main. 

-Est-ce que tu penses qu'on pourrait embarquer avec vous ? osa Ali.

L'autre homme le dévisagea, à la recherche d'une moindre signe de plaisanterie de sa part. Ne trouvant rien, il comprit que son interlocuteur était on ne peut plus sérieux, il souhait réellement prendre la mer.

-Ali, tu es un vieil ami, certes. Je doute tout de même que notre capitaine accepte un compagnon d'Osman.

-Les nouvelles vont vite, à ce que je vois.

-Moins vite que le Black Blood mais, je vais en toucher deux mots au capitaine.

-Je te remercie, dit Ali tandis que Luke s'éloignai.

Bien que je n'y avais guère songé avant, quelques connaissances sur ses pirates pourraient s'avérer utiles. Je décidai d'interroger judicieusement Ali.

-Qui est cet homme et qu'est-ce que le Black Blood ? Eclairez-moi ! Je crains que mon ignorance ne me démasque.

-Calme-toi ! ordonna-t-il. Premièrement, cesse de me vouvoyer, je suis ton père et un pirate. J'ai rencontré Luke il y a dix ans et je lui ai sauvé la vie alors que son bateau attaquait le nôtre. Il m'est redevable. Le Black Blood est le nom de leur bateau.

-D'accord et ton ami ne trouve pas louche que tu ne lui ai jamais parlé de mon existence ?

-Luke n'est pas très famille, je pense qu'il s'en fiche et entre nous, les marins n'élèvent pas leurs enfants, ils vivent en mer.

Un homme s'approcha de nous, le pas lourd et avec une assurance aussi fascinante qu'effrayante. Je devinai qu'il s'agissait du capitaine en apercevant Luke sur ses talons.

-Pourquoi un ennemi souhaiterait-il embarquer avec nous ? demanda-t-il la voix grave.

-Nous voulons tuer Osman.

Un sourire large mais effrayant flotta sur son visage et il fit une légère révérence en ôtant son chapeau.

-Dans ce cas, bienvenues à bord du Black Blood.

La princesse des voleursOù les histoires vivent. Découvrez maintenant