Début de carrière - Partie 3

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Quartier général du Bataillon d'Exploration, sud-est du Mur Rose

« Chef d'escouade Hansi..., chuchota Marion.

— Hansi, la corrigea l'intéressée. De quoi est-ce que tu as besoin ?

— Du microscope. »

Elle fronça les sourcils, mais ne broncha pas.

Elles se trouvaient dans le laboratoire de la jeune femme. Une pièce carrée, en sous-sol, encombrée de bibliothèques croulant sous les livres et les fioles poussiéreuses. Il y avait un bureau, au centre, sur lequel s'étalaient de nombreuses feuilles de notes ; certaines d'entre elles avaient été tâchées par les encriers qui reposaient çà et là.

Et au fond, contre le mur de vieille pierre grise, il y avait un plan de travail de bois de pin. Il était éclairé par les rayons chauds du soleil de juin, que le soupirail filtrait avec bonheur. Cette pauvre ouverture devait se sentir bien seule, là-haut, coincée sous les poutres épaisses... Cependant, elle faisait bien son job. Ici, la française avait juste assez de lumière pour voir ce qu'elle faisait.

Ce qu'elle faisait, c'était-à-dire achever la dernière étape de ses recherches. Elles avaient été rapides, et efficaces, comme on le lui avait ordonnée. Elle le revoyait encore, le sérieux collé au visage pâle, fin et fatigué de Livaï. Il ne plaisantait pas... Et elle non plus.

Elle avait passé ses journées à se promener dans la forêt dans laquelle on l'avait jetée. Au milieu de ses arrachages de branches et autres prélèvements de terre et de plumes, elle avait cherché, du coin de l'œil, ne serait-ce qu'une seule trace de roues de camion ou autre passage d'hélicoptère – on ne savait jamais. Mais rien, elle n'avait rien trouvé, aussi profond s'était-elle enfouie dans ces bois.

Et Conny, lui, n'avait jamais compris grand-chose à son air fermé, à son accent étrange, et à son comportement perturbé. « Oui, bonjour, alors je m'appelle Marion Rovoff, je viens du centre, je suis bourge, et puisque je suis là, je vais étudier au Bataillon pour achever ma thèse de je ne sais quoi, car je suis tellement douée que je majore dans six domaines différents » avait été la seule excuse qu'elle avait pu lui sortir. Elle n'avait rien expliqué de la détresse qu'elle avait vainement essayé de cacher.

Il n'y avait pas de doute. La faune qu'elle avait étudiée ressemblait à celle de l'Europe de l'Est. Les arbres qu'elle avait croisés, eux, étaient probablement originaires de l'Europe de l'Est. Mais peut-être que cet endroit avait connu une jolie petite mondialisation sylvestre il y avait un siècle de cela ! Que nenni. La terre qu'elle déposa délicatement sous son microscope has-been témoignait trop bien de la conclusion affreuse sur laquelle elle allait déboucher.

C'est pas du fumier de chez la grand-maman Shihong Chaillot... Je peux le voir, même sans ce microscope de mes deux. Elle prit une inspiration saccadée ; ses mains se fourrèrent machinalement dans sa blouse blanche. Habit inutile, mais classe : le seul avantage qu'elle tirait à être ici... Bien qu'on ait eu les mêmes en TP de chimie, pensa-t-elle amèrement.

Finalement, elle enleva ses larges lunettes rouge-coco, les posa non loin, passa son porte-échantillon sous le seul et l'unique objectif de ce bordel, et cala son œil devant l'oculaire. Elle zooma, dézooma, grogna lorsqu'elle réalisa qu'elle n'avait pas de lampe sous le tout, parvint tout de même à achever cette activité inutile qui était d'étudier une dernière fois, dans un espoir désespéré, cette foutue terre de ses deux. Peut-être allait-elle voir qu'elle était quand même vachement claire pour du tchernoziom. Bah dis-donc, Marion, on ne savait plus reconnaître deux nuances de couleur ?

Eh non. C'est du tchernoziom. Va te faire foutre, du coup.

Un long soupir s'échappa de ses lèvres. Elle se redressa, frotta son dos douloureux, et se tourna avec dépit vers les papiers à sa gauche. Des notes, partout, écrites de sa calligraphie allongée – et illisible, d'après monsieur Livaï. Ce fut le cœur tordu par l'angoisse qu'elle écrivit cette dernière constatation. A l'Europe de l'Est, hein. Je devrais comparer leur carte des Murs avec celle de notre continent. Au moins pour être sûre...

ᴘʀᴇᴍɪᴄᴇꜱ - ᴀᴛᴛᴀᴄᴋ_ᴏɴ_ᴛɪᴛᴀɴ&0.7 ⌜ᵗᵒᵐᵉ ¹⌟Où les histoires vivent. Découvrez maintenant