Partie 2

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Mardi 28 Septembre

      Voilà maintenant quelques jours,  quelques jours depuis qu'elle a quitté l'Eglise, les messes s'entremêlaient et se tassaient, je tremblais quelques fois, je marmotais, je mangeais les mots comme béguais, les yeux hagards, toujours perdus à sa recherche. Y sera-t-elle un soir encore, je me demandais si au moins un dimanche, une petite messe ou juste une silhouette dans la nuit quand je me pends l'être au balcon à regarder la dernière ligne blanche qui sépare la mer du ciel à l'horizon. Serais t-elle là un soir? Quand la reverrais-je? Je ne voulais pas demander où elle était, qui elle était, je ne savais rien, je ne saurais rien, je perçais les foules, je scrutais autour de moi, rien que le noir, l'infamante, jamais, absente, jamais elle, elle avait besoin de quelqu'un je le savais. Je croyais l'avoir revue encore un soir aux travers des rues impropres, juste une démarche un peu allégorique et franche qui s'évadait juste un dos, juste une robe à deux cuisses coincées, je me tuais à croire que ce fut elle et depuis plus aucune nouvelle, plus de silhouettes, ni de voix, ni de robes, ni de cuisses, plus rien.
            Je commençais à m'inquiéter . Je me rappelle la dernière fois, elle semblait toute déboussolée, abandonnée à elle-même, seule, tentée, perdue dans un univers trop grand qui écrasait son petit être. Elle avait quelque chose d'enfoui au plus profond de son âme et elle voulait à la fois le cacher au monde et l'évacuer. Mais jour après jour, je m'inquiétais de moins en moins, étais-ce par manque d'humanité? Mais non j'en doute moi-même. Des gens avaient besoin de moi, il me paraissait égoïste de me préoccuper d'un seul être comme d' un objet trop précieux, je voulais être optimiste ,elle va bien. Elle irait bien car de toute façon on vient dans les pieds du Seigneur et de Saint-Bernard uniquement quand ça vas mal. Peut-être qu'elle a trouvé quelqu'un à qui parler et cette personne l'a aidée; si c'était le cas, ça m'aurait bien fait plaisir.

      Dans le presbytère, j'étais le seul prêtre à aimer la cuisine, faut dire que des hommes peuvent se juger trop haut pour ces bassesses et des hommes  clos trop saints pour se salir les mains. Depuis tout petit j'aimais ça, me coincer dans la robe de mère quand elle brûlait ou bouillait de quoi, tordre sa robe, la serrer dans mes mains, m'accoler à ses cuisses comme si je ne voulais pas qu'elle parte, elle m'attachait à une table quand elle faisait les frites pour m'empêcher de brûler, je pleurais, je pleurais à sang tandis que je la voyais, elle ne savait plus que faire de moi, pour moi le bonheur n'était pas auprès d'elle, le bonheur était en elle, elle était le bonheur dont il ne fallait jamais m'éloigner.
J'avais peut-être grandi, seul, solitaire, adolescent coincé entre le monde, mère et la cuisine, j'apprenais mieux qu'à un cours, cela m'aidait à me sentir bien. Cuisiner était pour moi une sorte d'auto-thérapie, sentir l'odeur d'un repas bien fait, l'arôme d'une de mes recettes secrètes, ça me rendait tellement heureux et chaque recette grouillait de ces souvenirs de ma bonne vieille maman que ni le désespoir, ni le temps ne sauraient effacer...
             De plus tout le monde raffolait de ma cuisine. On me demandait souvent quel etait mon secret, parfois je riais jouant le comique et le pontife en me vantant comme un simple humain, parfois je racontais les épopées de bonnes prières, parfois je m'excusais pour me tourner et cacher mes larmes car mon secret c'est cette dame chauve, ridée, amnésique et mourante, mon secret c'est bonne vieille mère. Voir des gens réunis autour d'une même table savourant ainsi mes mets  me procurait du plaisir. J'aimais cette sensation, j'aime cette sensation que je n'avais jamais connu avant.
          Et ce jour là, je ressentais en moi le désir de cuisiner. J'ai dispensé la cuisinière et j'ai pris mon sac pour aller au marché. Je ne connaissais pas bien les rues, mais bon je devais les savoir un beau jour. J'ai donc décidé d'y aller seul. Vêtu de noir, mon panier en main, je marchais, saluais les gens; sans savoir où je vais, je sillonnait les rues de Rochardville. Les gens riaient, d'autres prenaient un air d'étonnement mais tous reconnaissaient le nouveau petit curé de la paroisse Saint-Bernard. J'arrivais enfin à me rendre au marché. C'était tellement dynamique, les gens bougeaient comme si on était en guerre. Tous avaient cette mission qu'ils accomplissaient avec fougue: acheter, rentrer et se faire de quoi manger. Entrainé dans l'ambiance, j'ai donc commencé à faire mes courses sans plus attendre, me courbant, tâtonnant sans marchander,  payant à juste demande, ma quête se devait d'être noble et rapide.
              Après une demi-heure, les os brisés dans les bousculades, je prenais la tête vers le ciel ce souffle inévitable, le ciel me soulageait, une main me couvrit les yeux, j'entendis  une voix mêlée de la cacophonie :" Vous cuisinez mon père?" Enlevant sa main, je me retournai pour voir la personne qui possédait une tel organe, souple ,creux ,ramolli malgré la dureté de la vie et la misère mais un gros chapeau cachait son visage. Elle enleva son chapeau, et là, imaginez ma surprise, c'était l'antillaise... Elle portait cette fois-ci une corsage assortie avec ses yeux marrons clair et une jupe longue et elle s'est arrêtée pour me parler. Elle semblait aller mieux cette fois-ci et c'était bien de la voir si souriante. J'ai tout de suite répondu avec un sourire:" Pas vraiment, mais je saurais brûler du bon riz et boucaner des spaghettis..."
         Elle a rit.
         Son rire était tout aussi beau que son sourire. Elle s'approcha de moi et m'effleura la main, nos chemins se croisaient, elle achetait, je la suivais, elle marchandait nerveuse, insolente mais se retournait à chaque fois pour m'adresser un sourire que mes lèvres de bambin comme par magnétisme répondaient par la réciproque. Je la suivais, quand elle ai fini, je la questionnai:"Je voudrais bien savoir si ce fut votre anniversaire le jour que je vous ai vu à l'église?", elle à rit encore une fois, ravissante,mais de trop,je la suivais sans raison et on a continué la route ensemble. 
           Je semblais la forcer  à parler, elle répondait. par quelques hochements,quelques regards à travers sa chevelure ou au-dessus de ses épaules, elle jouait à la muette. J'ai persisté et j'ai fini par apprendre  beaucoup plus sur elle notamment son nom. Luna. Elle s'appelait Luna...
             Elle est rentrée chez elle et moi au presbytère. Les autres prêtres pouvaient voir que j'ai fait quelque chose d'intéressant. Ils étaient ravis de me voir ainsi seulement quelques mois après mon affectation. Cette journée fut tellement bonne que je me suis endormi comme un bébé, la Nuit tombée, tout souriant.

La SauvageonneOù les histoires vivent. Découvrez maintenant