Jeudi 14 Octobre
Luna! Que dois-je en faire ? Je priais un jour entier à entendre la réponse du Seigneur! Un jour entier et le silence. Pas même un signe, on effaçait mon nom sur le peu de choses où il était gravé, les archives de Rochardville se souviendront d'un Édouard soit trop juste qui voulut sauver une âme malade ou d'un prêtre qui à perdu le pied pour une ... Le mot est imprononçable! Faut-il se laisser faire mon Dieu? Le silence me répondit encore une fois, j'avais la rage, j'étais furieux.
Je regardais mes valises, closes, closes pour de bon, demain tout sera fini. Luna ! Rochardville et l’honneur. Sauver Luna! Est-ce que Père s'en chargera ? Il ne s'en est jamais chargé! Est-ce que ce Dieu la fera changer de vie ? Il l'aurait fait bien longtemps ! Il fait ce qu'il veut, quand il veut; c’est un être incompréhensible. Je déchirai mon chapelet de colère, les perles roulaient au sol. Luna ! Luna ! Luna ! Je me mis à pleurer, Luna avait besoin de moi, elle aura besoin de moi et demain ce sera fini! Le navire sera au port, traverser l'océan et débarquer autre part, oublier, c’est certain.
Luna! Luna! Luna! À quoi puis-je te servir en restant prêtre? Pourquoi ne pas te libérer, ta cause est plus réelle que mon serment. Dire les homélies, entendre des confessions de gens qui ont piétiné une blatte ou jeté un plat puant a des chiens errants ou des gamins qui soulèvent les jupes des filles, imposer les mains sur les gens que vaut cela face au sauvetage d'une vie. Le bon berger n'est-il pas parti lui-même sauver la brebis perdue en laissant quatre-vingt dix-neuf derrière lui? Je dois la sauver ! Je ne voulais plus prier ce soir là, Dieu n'était pas là ou il était en observation; il était peut-être occupé ou fatigué, il se peut qu'il dort, il dort depuis le dernier jour de la création de la Terre, il est allé se reposer. C'est à nous les hommes désormais de travailler chaque jour, notre créateur n'est pas absent mais absentéiste. Je suis donc devenu hérétique en un seul soir, l’impuissance me justifie.Je voulais être un vrai chrétien, dans les mots et dans les actes et me voilà crucifié et sans croix, sans symbole. Serais-je un martyr ou un idiot de l’anonymat ? Je voulais vivre la parole et la rendre vivante, en réalité on n'a pas ce droit, seul le messie devait le vivre, seuls les saints pouvaient s'en rapprocher, moi je n'ai point ce droit, le bon samaritain meurt à chaque fois.
Je n'avais point sommeil, j’étais tourmenté, il me restait moins d'un jour. La chaleur battait ma cellule, ma bible roulait par terre, je voudrais y mettre feu, j’en avais assez d’une religion de mots, une croyance sans gestes de foi, plus personne n'aide personne et on condamne celui qui le fait. Ce monde est irrationnel. Je devrais foutre cette soutane au sol, marcher dessus, pisser dessus, lui foutre du pentachlore ou de l'acide sulfurique, je devrais cesser cette vie de diseur de bonne aventure, je devrais cesser tout ça, tout ce faux symbolisme. Je suis un faussaire, un faux monnayeur, j’en ai assez! Je crispai ma tête entre mes mains, mes tempes se creusaient dans une migraine cataclysmique, je voudrais mourir.
Je me levai, je me tenais devant ma fenêtre, le carrefour était illuminé, les trottoirs légèrement vides, je réalisai si je n'étais pas prêtre je serais là moi aussi, dans les rues, à mendier, voler, me prostituer, si je peux aider des gens c'est en restant ce que je suis. Si j'ai pu aider Luna c'est en étant prêtre. Mais ce soir je dois jouer ma dernière carte, je dois mettre la dernière pièce dans la machine, j’espère que ce ne sera pas en vain.