CHAPITRE 2 / 2.1 - Louis

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Louis est assourdi par le bruit des pales de l'hélicoptère dans lequel il est assis. Qu'importe : il n'a personne avec qui parler.

Pas encore. Cela sera différent au retour...

Comme prévu, sa première décision a été désapprouvée par la plupart de ses conseillers. Ils ne lui ont pas demandé d'explication : plusieurs d'entre eux sont ministres depuis suffisamment longtemps pour savoir de quoi il retournait. Quant aux autres, ils se sont renseignés auprès de leurs collègues, qui ont sûrement été ravis d'étaler leur savoir.

Seul Marc Sallemont n'a pas blâmé Louis. Au contraire, il a pris le jeune roi à part et lui a fait savoir qu'il respectait sa décision ambitieuse et qu'il pensait qu'en agissant ainsi, il ouvrait une nouvelle ère.

Une ère dans laquelle le peuple aurait plus d'espoir. Une ère où vous pourrez enfin être débarrassé de l'aura quasi divine qui pèse trop souvent sur les rois.

Louis s'est senti rasséréné. Au moins une personne le comprenait. Cela ne l'étonne pas que ce soit Marc : l'homme n'a pas le même profil que ses autres conseillers. Il s'est élevé dans la société grâce à son talent, en créant Réseau Royal ; il n'a donc pas la même vision du monde que les autres ministres, nés avec leur titre de noblesse et leur haut rang.

Le monde change, et je serai un roi en phase avec cette transformation.

Deux heures après son annonce officielle, Louis a appelé Annette. Il n'a pas pu lui parler longtemps : il n'avait que dix minutes entre deux obligations liées à sa nouvelle charge de roi. Mais cela a été suffisant pour qu'il finisse en larmes, rattrapé par huit ans d'émotions réprimées. Annette, elle, n'a pas pleuré : ce qui dominait chez elle, c'était la surprise. « J'étais certaine que tu m'avais oubliée... » Voilà les premiers mots qu'elle a bredouillés. Mais comment l'aurait-il pu, alors qu'ils ont été séparés avec tant de cruauté ? Alors que toutes ces années, elle a symbolisé tout ce qu'on lui a arraché au nom de son avenir ?

Il a pris de ses nouvelles, autant qu'il l'a pu dans le court délai qui lui était imparti.

— Les mois se sont écoulés tranquillement à Montaigu, lui a-t-elle dit.

Elle a supposé que pour Louis, les choses avaient été bien différentes.

Elle se trompait. Pour moi aussi, la vie n'a fait que suivre son cours. Un cours désenchanté depuis que j'ai été séparé d'elle.

Il a conclu l'appel en lui promettant qu'il viendrait la chercher en personne chez elle dès le lendemain pour la ramener à Versailles.

— Mais j'habite à l'autre bout de la France ! s'est-elle exclamée.

— Qu'importe. Je ne veux plus passer une minute de plus loin de toi.

Maintenant, Louis tient sa promesse, malgré la désapprobation de ses ministres. L'hélicoptère dans lequel il se trouve l'emmène à pleine vitesse vers Montaigu. En attendant d'arriver, il passe le temps en regardant les actualités sur son smartphone.

Toute la presse fait ses gros titres sur Annette. Qui est-elle ? Pourquoi est-elle si importante pour le nouveau roi ? À quoi ressemble-t-elle ? Que peut-on en attendre ? Les sites d'information se disputent les scoops. L'un divulgue une photo de la jeune femme, assise près de la mer, ses cheveux bouclés volant au vent. Un autre explique qu'elle est issue de la petite noblesse, et que son père, musicien de talent, a été organiste de la chapelle de Versailles. Un troisième publie des clichés volés du château de Montaigu.

Ils n'ont fait que collecter des bribes d'information dans l'urgence pour l'instant. Mais il est certain qu'ils ne s'arrêteront pas là...

Louis consulte ensuite le profil d'Annette sur Réseau Royal. Hier encore, avant son annonce, elle n'était suivie que par une centaine de personnes ; désormais, ce nombre a été multiplié par cinquante.

Les chacals... Elle est déjà devenue leur proie.

Louis soupire et éteint l'écran de son téléphone. Consulter les élucubrations de ses sujets à son propos l'amuse d'habitude, mais maintenant qu'Annette est concernée, il n'a plus envie de rire. Le peu qu'il a lu a suffi à l'agacer.

Ils ne me connaissent pas. Ils ne la connaissent pas. Pas vraiment.

Il a désormais hâte d'arriver à Montaigu. Il sait que là-bas l'attend une jeune femme qui chassera tout énervement de son esprit. Elle avait ce pouvoir lorsqu'ils avaient 17 ans ; quand elle a été chassée de la cour, une partie de son innocence est partie avec elle.

Son vœu est bientôt exaucé. L'hélicoptère descend doucement vers le sol, dans le vaste jardin d'un manoir de campagne datant du milieu du xxe siècle, de taille modeste.

Mais ce n'est pas sur le bâtiment que les yeux de Louis sont fixés. C'est sur la mince silhouette qui se trouve devant lui. La silhouette d'une jeune femme dont la robe bleue est battue par l'air que soulèvent les pales de l'hélicoptère, et qui retient d'une main ses cheveux blonds bouclés...

Il ne l'a pas vue depuis huit ans, et pourtant les quelques instants dont l'hélicoptère a besoin pour atterrir lui semblent interminables. Son cœur bat la chamade dans sa poitrine, et il se sent presque nauséeux tant il est fébrile.

Dès qu'il le peut, il s'arrache à son siège et bondit sur le sol herbeux, avant de s'élancer vers Annette. Cette dernière, au contraire, reste figée, un sourire hésitant sur les lèvres.

Une seconde plus tard, il arrive à sa hauteur. Pendant qu'il était dans l'hélicoptère, il a longuement réfléchi à ce qu'il lui dirait lorsqu'il la verrait enfin. Huit années durant, il s'est raccroché à son souvenir. Les mots lui semblent insuffisants pour faire passer toute l'émotion qu'il ressent. Le seul qui échappe à sa gorge serrée, c'est son prénom, qu'il a prononcé tant de fois dans le silence de sa chambre, tourmenté par le manque.

— Annette...

— Louis.

Elle l'observe de ses grands yeux clairs. La distance qui subsiste entre eux lui paraît insupportable, alors qu'autrefois ils ne pouvaient demeurer en présence l'un de l'autre sans finir enlacés.

— J'avais promis de trouver le moyen de nous réunir, lui souffle-t-il finalement. Tu vois, j'ai tenu parole.

Il tend la main vers elle, l'angoisse se logeant dans son ventre. Ses sentiments à lui sont restés les mêmes, figés depuis tout ce temps, mais qu'en est-il des siens ? Que signifie le tremblement qui l'a saisie ?

Ne m'aime-t-elle plus ? M'en veut-elle de l'avoir mise sous le feu des projecteurs ? M'attend-elle ici pour me dire de repartir ?

Pendant un terrible instant suspendu, Annette ne bouge pas. Puis enfin, sa paume trouve la sienne, et elle lui répond :

— J'aurais dû me douter que la Cour ne parviendrait jamais à te changer. Me réserver la première décision de ton règne... C'était fou, Louis.

— Je suis désolé de n'avoir pas pu te prévenir. Ma nouvelle vie est... compliquée.

— J'imagine bien.

— Mais il y a une chose que tu dois savoir : pendant tout ce temps, malgré notre séparation, je n'ai eu qu'une constante, et c'était toi. Je t'aime toujours, Annette. Et cette fois, plus personne n'aura le pouvoir de nous séparer.

Délicatement, il effleure sa joue, au velouté qui lui était si familier à 17 ans. Son pouce la caresse, se gorgeant de la douceur de ses traits.

— Je sais que cela fait huit ans... mais puis-je t'embrasser ? Cela fait très, très longtemps que j'en rêve.

Les mots étouffés dans sa gorge, les yeux rivés aux siens, Annette hoche la tête. Et alors, Louis ne retient plus l'élan qui le pousse vers elle. Il l'attire contre lui et pose ses lèvres contre les siennes avec la force d'un désespoir qu'il traîne depuis qu'ils ont été séparés. Comme si cette étreinte pouvait guérir définitivement la blessure qui s'était ouverte dans son cœur le jour où on l'avait arrachée à lui.

Une blessure qui ne s'est jamais refermée.

Il veut lui donner, au travers de leurs bouches qui se trouvent, une idée de l'intensité des sentiments qui bouillonnent en lui. Annette répond à son baiser, saisissant ses épaules et inclinant son visage doucement.

Et alors, bien plus que lorsqu'ill'est devenu effectivement, Louis se sent comme un roi.

Réseau Royal [Sous contrat d'édition]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant