2.6 - Louis

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Louis se regarde dans son miroir. Vêtu d'un costume sombre à la bordure d'hermine, il correspond parfaitement à l'image qu'il doit donner de lui aujourd'hui : celle d'un roi en deuil. Mais il ne parvient pas à maintenir sa mine impérieuse bien longtemps : rapidement, il soupire et passe la main dans ses cheveux dorés mi-longs.

Dans quelques instants, il se rendra dans la chapelle du palais pour l'enterrement de son père. Il ne se sent capable d'affronter cette épreuve que parce que Annette sera à ses côtés.

Elle ne veut pas se mettre en avant, il le sait. Il a exigé d'elle un grand sacrifice en lui demandant de revenir à Versailles : celui de la vie paisible qu'elle affectionnait. Mais il avait trop besoin d'elle en ces temps troublés pour la laisser à Montaigu.

Il est néanmoins prêt à faire des compromis. Il ne veut pas la pousser dans la lumière plus que de raison. La veille, il a demandé que leur hélicoptère atterrisse à quelque distance du château, pour qu'ils puissent le rejoindre sans être importunés – chacun de leur côté, de manière à ne pas s'afficher ensemble. Annette a reçu une chambre au premier étage, dans l'aile principale, afin que Louis puisse lui rendre visite facilement, et il a demandé qu'elle soit placée non loin de lui pendant l'enterrement de son père. Il veut pouvoir tourner la tête vers elle et chercher du réconfort dans son regard si la cérémonie se révèle trop difficile à supporter pour lui ; et il a exigé qu'elle soit placée à sa table pendant le repas qui suivra.

Il prend une grande inspiration, puis sort de sa chambre. Dans le salon attenant, Annette l'attend, seule. Il a prévenu son service de sécurité que la jeune femme était autorisée à circuler librement dans ses appartements, un privilège qu'elle est la seule à avoir reçu.

En la voyant, il soupire.

— Merci d'être là...

— Tu as besoin de moi. Je n'allais pas t'abandonner.

Louis désigne d'un signe de tête la porte menant à la galerie des Glaces.

— Ils m'attendent de l'autre côté. Ça va être terrible.

— Ils ne te veulent pas de mal. Ils t'aiment : tu es leur roi.

— Viens avec moi.

— Tu sais bien que je ne peux pas. Mais mes pensées t'accompagneront, n'en doute pas. Je te retrouverai dans la chapelle.

— À tout à l'heure.

Louis attend qu'Annette ait quitté la pièce par un accès dérobé avant de se tourner vers l'entrée d'honneur de ses appartements. Il redresse son dos, puis avance vers la porte donnant sur la galerie des Glaces, qui s'ouvre automatiquement.

Aussitôt, les flashs des journalistes crépitent, les courtisans tournent la tête vers lui, les conversations cessent. Louis n'y prête pas attention. Il avance, tout simplement. La foule s'écarte sur son passage.

Il a perdu son père. Il souhaite se retrancher dans sa douleur personnelle, et non communier avec ces gens qui ne voyaient en François qu'un roi, l'incarnation d'une fonction plus qu'une personne à part entière. Malgré tous les conflits qui les opposaient, il reste l'homme qui a façonné sa vision du monde alors qu'il grandissait. Celui dont il recherchait l'approbation et les sourires. Il revoit sa barbe brune qui commençait à être parsemée de fils d'argent, impeccablement taillée, son expression qui s'adoucissait lorsqu'il se tournait vers lui.

Son regard si vide le soir où il s'est effondré au beau milieu de la galerie des Glaces, abandonnant Louis derrière lui.

Le jeune souverain marche ainsi jusqu'à la chapelle. Il est frappé par la vision du cercueil imposant, recouvert par le drapeau français, blanc à fleurs de lys d'or. Mais il continue à avancer, jusqu'à la place d'honneur, à laquelle il s'installe. Il tourne la tête. Annette est bien là, le couvant d'un regard attristé, lui donnant l'espoir de parvenir à aller jusqu'au bout de cette cérémonie.

Il voit bien les courtisans qui murmurent en regardant la jeune femme, remarque le dédain sur le visage des duchesses et des comtesses. Il leur tourne le dos.

Ils ne gâcheront pas ma relation avec Annette. Je les en empêcherai.

Des aristocrates du monde entier prennent place aux premiers rangs autour de lui. Ils ont fait le déplacement depuis leurs pays respectifs pour venir rendre un dernier hommage au roi défunt. Il y a cependant moins de monde qu'à l'enterrement de Louis XIX. François IV n'était sur le trône que depuis six ans : il avait eu moins de temps pour nouer des liens avec les autres monarques. Et un certain nombre de royaumes n'ont pas de rapports suffisamment étroits avec la France pour que deux déplacements en urgence à six années d'intervalle seulement se justifient. Les visiteurs les plus notables sont le roi de Bavière, l'infante d'Espagne, le bey de Tunis et la reine mère de Grande-Bretagne. Louis recevra chacun d'entre eux en privé après la cérémonie afin de recueillir leurs condoléances.

Mais cette heure n'est pas encore venue. Avant cela, il doit aller jusqu'au bout de l'enterrement. Dire adieu à son père. Accepter que ce dernier ne reviendra pas pour reprendre sa place de roi. Comprendre que son trépas est une réalité irréversible.

Il a le souvenir vague de sa petite main dans la sienne, quand il était encore enfant. Celui, plus net, de sa colère quand, adolescent, il le convoquait pour le réprimander et lui rappeler quel comportement était attendu de lui, prince du sang et futur roi de France. De ses yeux bleus dont il a hérité de la couleur, mais qui étaient empreints d'une gravité que Louis n'a, pour sa part, jamais réussi à trouver.

François IV était le souverain de ce pays, mais pour lui, c'était avant tout celui qui lui traçait le chemin à suivre – même si cela lui a souvent pesé.

C'était son père. Il l'aimait. Et désormais, il n'est plus.

La chorale de la chapelle de Versailles est l'une des meilleures au monde. Alors que les voix des chanteurs résonnent dans un requiem poignant, la musique touche Louis au cœur. Il voulait traverser la cérémonie sans faillir, sans faiblir, en présentant aux caméras un visage grave, mais ferme. Peine perdue. Il se laisse envahir par ses émotions. Une larme coule sur sa joue. Une deuxième la suit.

Puis il éclate en sanglots, perdant toute retenue. Son dos est secoué de spasmes. Il perçoit vaguement qu'Annette, rejetant toute forme de protocole, se précipite vers lui pour le prendre dans ses bras. Il devrait se soucier des conséquences, mais il n'y parvient pas : il enfouit son visage dans le cou de la jeune femme.

Car il vient de se rendre compte que ce n'est pas seulement son père qu'il enterre, mais aussi la personne qu'il était jusqu'à ce jour.

Louis le dauphin est mort.

Vive le roi Louis XX.

Réseau Royal [Sous contrat d'édition]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant