2.3 - Louis

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Lorsque les lèvres de Louis et d'Annette se sont séparées, la jeune femme lui a désigné le manoir derrière elle et l'a entraîné à l'intérieur.

— Mes parents et mon frère sont partis chez des voisins, a-t-elle précisé. Je leur ai demandé de nous laisser un peu d'intimité.

— Bonne initiative.

Elle a ensuite proposé à Louis de boire quelque chose, et les voici maintenant assis sur un canapé, elle avec un thé, lui avec un café. Ils restent silencieux quelques minutes, ne sachant pas par où commencer. Puis le jeune homme se lance :

— Tu n'as pas changé.

— Toi, si. Tu as l'air plus...

Elle a besoin de quelques secondes avant de trouver un mot satisfaisant.

— Royal.

— Royal ?

— Grave ? Sûr de toi ?

— Ce n'est qu'une impression. Au fond, je suis complètement perdu.

— J'imagine que ce qui t'est tombé dessus du jour au lendemain n'est pas facile à encaisser.

— Tu imagines bien.

Louis pose sa tasse de café sur la table basse devant lui, puis reprend :

— Mais ce n'est pas pour parler de cela que je suis venu. C'est de nous que je voudrais que nous discutions.

Annette, rosissant, ne répond pas. Il poursuit :

— Je n'ai plus personne pour me dicter ma conduite, désormais. Je suis le roi de France, et plus personne ne nous tiendra éloignés l'un de l'autre.

— Louis... Ton grand-père s'est montré bien trop brutal en retirant du jour au lendemain à mon père sa charge d'organiste de la chapelle de Versailles, et en lui ordonnant de retourner sur-le-champ à Montaigu avec moi. Il s'est montré cruel en bloquant les communications entre nos comptes Réseau Royal afin de s'assurer que tu ne me parles plus ni même que tu sois informé de ce que je deviendrais...

— C'est sûr. Je t'aimais, Annette ! Je n'ai jamais pardonné à mon grand-père de nous avoir fait ça.

— Mais, poursuit la jeune femme, il n'avait pas tort sur le fond. Les raisons qui l'ont poussé à prendre ces mesures étaient bonnes. Je ne suis personne, alors que tu es notre souverain. Ton destin est de t'allier à une princesse étrangère, pas de batifoler avec une petite aristocrate de campagne.

— Batifoler ? Une petite aristocrate de campagne ? Je t'interdis de te dévaloriser de la sorte, Annette !

— Quels que soient les mots employés, le...

— Je n'ai pas la même vision du monde que mon grand-père, l'interrompt-il. La couronne pèse lourd sur une tête. La première qualité d'une reine doit être d'aider son époux à la porter. Comment une femme choisie par calcul pourrait-elle y parvenir ? Je ne me marierai pas par raison, Annette. Je ne pourrai pas assumer les devoirs de ma charge si l'amour ne m'insuffle pas sa force. Cela, mon grand-père ne l'avait pas compris. Je suis un homme, pas une simple machine politique.

— Huit ans, c'est long. Nous n'étions que des adolescents quand nous avons été séparés. Comment peux-tu être certain que c'est de moi que tu as besoin ?

Les mains d'Annette sont serrées autour de sa tasse alors qu'elle coule un regard hésitant à Louis par-dessus la porcelaine. Le jeune roi boit une gorgée de son café avant de répondre :

— Tu as raison : il va falloir réapprendre à nous connaître. Je ne compte pas t'épouser demain. Mais, Annette... j'ai besoin de toi. J'ai besoin de quelqu'un à mes côtés qui pense à moi, et pas au roi que je suis devenu. Après ton départ de la cour, il n'y a personne d'autre à qui j'ai réussi à accorder la même confiance. Dans la tourmente que je traverse, tu es la seule que je crois capable d'empêcher que je me perde ; ton souvenir est resté ma boussole pendant toutes ces années. Reviens à Versailles avec moi, s'il te plaît. Sans toi, j'ai peur de m'effondrer.

Pendant plusieurs secondes, Annette ne répond rien, prenant la mesure de ses paroles. Puis, avec une profonde tendresse dans le regard, elle tend la main pour la poser sur celle de Louis et annonce :

— Très bien. Je te suivrai. Ce qui t'attend... tu n'auras pas à l'affronter seul.

Son expression se crispe cependant alors qu'elle ajoute :

— Mais j'ai peur, moi aussi. Cela fait huit ans que je mène une vie paisible ici, à Montaigu. Et même au cours des quelques mois que j'ai passés à Versailles, je suis restée dans l'ombre. Cette fois, je serai en pleine lumière. Il n'y a qu'à voir tous les messages que je reçois sur Réseau Royal depuis hier. Brusquement, tous les yeux sont braqués sur moi. Je ne sais pas si je saurai gérer ça. Je...

— Ne t'inquiète pas. Je t'épaulerai. Nul n'osera te faire de mal alors que je tiens à toi.

— Pas directement, non. Mais tu sais comme moi que les courtisans sont parfaitement capables de se montrer sournois. Et puis rien ne dit que je serai à la hauteur...

— Tu le seras. J'en suis certain.

Louis sourit à Annette, essayant de lui faire passer tous ses espoirs, tout son soulagement à l'idée de la retrouver près de lui. Ses traits ont mûri, abandonnant les rondeurs de l'adolescence. Malgré tout, elle reste celle qu'il a tant aimée ; pour la première fois depuis huit ans, c'est sans être tourmenté par une nostalgie déchirante qu'il se laisse envahir par ses souvenirs de leur histoire.

La première fois où il l'a vue, assise les pieds dans l'eau au bord du Grand Canal, si paisible et sereine en comparaison de toutes les autres jeunes filles qu'il connaissait.

Ses yeux qui pétillaient chaque fois qu'ils se recroisaient.

Leur premier baiser, à l'étage de la chapelle désertée du château.

Son rire sans retenue quand il se jetait sur elle pour la prendre dans ses bras.

Leurs rencontres secrètes dans tous les recoins du palais.

Son humeur toujours optimiste, qui apaisait ses angoisses de futur roi.

Leur première fois chargée d'émotion dans le grand lit de ses appartements, qui lui avait ensuite semblé bien vide chaque nuit où il s'y était retrouvé seul.

Sa peau, si douce, qu'il ne pouvait se lasser de caresser.

Les fleurs qu'il volait dans les jardins du château pour les lui offrir.

Leur amour, si pur, si fort, qui lui a manqué chaque jour depuis qu'elle lui a été arrachée.

Les dix-huit mois qu'il a passés avec Annette ont été les meilleurs de sa vie. Il s'en veut encore de l'imprudence qui a précipité leur fin. Ils rentraient d'une promenade dans le parc de Versailles, ils arrivaient en vue du château, et Louis n'avait pu résister à la tentation de se pencher vers Annette pour l'embrasser. Malheureusement, un conseiller du roi l'avait vu. Interrogé par son grand-père, l'adolescent s'était posé en chevalier servant outré, affirmant qu'il épouserait la jeune femme, en secret s'il le fallait, et dans les plus brefs délais. Louis XIX aurait pu le laisser vivre une amourette, mais il n'avait pas voulu risquer de compromettre son avenir matrimonial. Si son petit-fils était capable de proférer de telles bêtises, peut-être était-il également suffisamment stupide pour les mettre à exécution, lui avait-il dit.

Dès le lendemain, M. de Montaigu perdait sa charge d'organiste de Versailles, et Annette disparaissait de la cour. Mais pas avant que Louis ne la voie une dernière fois pour lui jurer qu'il ne l'oublierait pas, et qu'il la rappellerait auprès de lui dès qu'il serait libre de le faire.

Huit ans plus tard, il a tenu sa promesse.

Et plus personne ne peuttrouver à y redire.

Réseau Royal [Sous contrat d'édition]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant