San Francisco, quartier de Chinatown, maison de Cuck Burds, 2018.
Il m'a demandé de la protéger, parce qu'elle était la seule, parce qu'elle était la dernière. « Cette petite brune » qu'il commençait à me compter « n'est pas qu'une petite brune. » qu'il finissait par dire. Finalement, elle est partie finir ses études à Paris et n'est plus jamais revenue. Je n'arrêtais pas de lui dire qu'elle était irresponsable, je n'arrêtais pas de lui dire qu'elle ne méritait pas son amour.
Mais il me disait la même chose, à chaque fois. « C'est ma petite brune, elle mérite tout ce que je peux lui offrir. » Il était un peintre amateur, il n'avait jamais vendu un seul de ses tableaux malgré les offres, il ne faisait jamais de croquis lorsqu'il peignait. « Sa petite brune », comme il disait si bien, m'a lâché sans jamais revenir. Un pardon qu'elle n'aura jamais de ma part. Mais il m'a demandé de la protéger, de ne pas succomber au fruit du désir.
« Bon, au lieu de tergiverser sur des sujets randoms, tu veux bien venir m'aider ? »
Un foulard noué autour de sa chevelure brune, elle traverse la pièce avec des cartons entre les bras, qui s'éternisent sur des petites mains aux longs doigts peignés d'un bleu profond. Sur ce, elle se retourne vers moi et me toise, me juge, me consulte, me détaille. Ce regard qu'elle avait l'habitude de m'offrir avant, celui qui me faisait fondre, il n'a aujourd'hui plus le même effet. C'est pourtant celui qui a changé ma vie, puis de toute façon, cette fille a changé ma vie.
« Euh, Victor ? »
Le seul mouvement que ma fatigue me permet de réaliser est un geste bref d'épaule, je repose la bouteille de SevenUp sur le coin de la table et me plonge au travail forcé et demandé. Je mets la main à la pâte, remplacée par de vieux bibelots, comme des modernes, des statuettes, une horloge vieille comme le monde et des écrits, des scénarios, des affiches de film.
Lorsque le grand-père de Pariya est mort, il lui a légué sa maison secondaire. Là où il se réfugiait pour peindre. A San Francisco, dans le quartier Chinois, il trouvait l'inspiration comme on trouve de vieilles choses avec bonheur.
« Tu te rappelles de Miranda ? »
« Miranda ? Miranda... Tu veux dire LA Miranda du lycée ? »
« Ouai ! Elle a fait fortune dans la vente d'immobiliers super recherchés. Elle opère presque dans les quatre coins du monde. C'est fou comme le monde a changé depuis que tu es parti. »
La réflexion semble l'avoir touchée en plein cœur, elle dévalise les cartons, déterre des vieilleries, range un peu près correctement chaque objet à sa place, imite une danse d'étoile en tournant sur elle-même pour trouver une place spéciale pour chaque tableau de son grand-père.
« Et toi, du coup ? Tu travailles, tu as un petit ami ? Dis-moi dans quel domaine tu comptes faire fortune. »
« Oui, non, et dans la réalisation de film. Figurez-vous, monsieur Dalman, que la fille présente devant vous est une scénariste, et à son compte, déjà trois réalisations. »
« Sans rire ? »
« Eh oui ! »
Je ne partage pas la joie qu'elle s'efforce de montrer, car je sais très bien qu'elle n'est pas réelle. Tout ça n'est qu'une illusion, elle a l'air de ne montrer qu'une seule partie de l'iceberg. Puis même si c'est vrai, je ne partagerais plus jamais sa joie. Plus jamais.
« On attaque la cuisine ? L'immobilier devrait bientôt arrivé ! Enfin, il est censé arriver aujourd'hui... »