Chapitre 1

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Je marche jusqu'à l'arrêt de tramway, les mains dans les poches, la tête basse. Je ne regarde jamais vraiment devant moi, je préfère toujours fixer mes pieds qui foulent le sol qu'il soit goudron ou terre. Depuis des années, je n'arrive pas vraiment à faire face à ce qui m'arrive, que ça soit ce que j'ai prévu ou l'imprévu. Je ne sais pas comment l'expliquer mais une partie de moi est complètement effacée, inexistante, comme cristallisée dans un cocon à attendre le bon moment pour s'éveiller et prendre son envol. J'aimerai que cela vienne, comme c'est le cas pour mon frère dont le destin semble tout tracé, prêt à être embelli par des rencontres et des amours. Alors que moi, mon destin, je n'arrive pas à en voir le tableau.

Le tramway arrive. J'enfonce un peu mieux les écouteurs dans mes oreilles et monte à l'intérieur. Ce doit être le dernier de la soirée, ou plutôt de la nuit puisqu'il est plus de minuit, une chance que je ne l'ai pas loupé. Ça m'apprendra à aller au cinéma pour un film nul en plus. Le tram a l'air entièrement vide, ce qui m'arrange. Je n'aime pas être au milieu des gens. Pas que je ne les aime pas, juste que je me sens mieux quand ils ne sont pas là, près de moi, j'ai toujours l'impression qu'ils polluent mon air et m'asphyxie petit à petit.

Je m'assois dos à tout le reste du wagon, les yeux posés dans le coin de la rame qui recèle un amas de poussière. Je le regarde bouger, vibrer au rythme du trajet bien calme. Ça me berce presque, heureusement que ma musique me tient éveillé avec ses lourds accords de guitare électrique. Seulement je l'ai trop écoutée aujourd'hui. Je l'écoute tout le temps de toute façon, je ne peux quasiment rien faire sans musique dans les oreilles. Les notes, les mélodies, les voix, ça me permet de ne pas penser à tout ce qui se passe dans ma vie. Il me faut ça pour m'occuper l'esprit afin qu'il ne ressasse pas le passé. J'éteins mon lecteur à contrecœur, enroule mes écouteurs autour puis le glisse dans la poche de mon sac à dos. Les vibrations et le léger grincement de la porte à chaque soubresaut me ramènent à la réalité et m'emplissent les oreilles comme si c'était insupportable.

Mais autre chose attire mon attention.

Je jette un œil par-dessus mon épaule. Il y a un petit groupe de trois personnes à l'autre bout de la rame. Je distingue une chevelure brune, une autre blonde et une autre porte une casquette. La seule fille est la brune, les deux autres sont des mecs. Certainement un groupe d'amis qui rentre de soirée. Je hausse les épaules et me concentre à nouveau sur le petit tas de poussière regroupé dans le coin. Ma tête se pose contre la vitre, je somnole à moitié. Je ne dois pas m'endormir sinon je vais rater mon arrêt mais quand même, la fatigue m'habite de plus en plus. Je baille à m'en décrocher la mâchoire jusqu'à ce qu'un cri me surprenne et me fasse sursauter.

Je me retourne vers ce groupe d'amis qui, à bien y réfléchir, ne doit pas en être un. Les deux gars semblent être plus de gros lourds collants que des potes. Ils taquinent la jeune fille qui est assise à une place et qui tente de les repousser. De gros dragueurs un peu ivres peut-être. Enfin, cela ne me regarde pas.

Je regarde mes pieds et baisse davantage la tête. Cette histoire ne me concerne pas, chacun ses emmerdes. Je joue avec la bretelle de mon sac pour me vider l'esprit alors que mes oreilles réceptionnent quasiment tous les sons qui proviennent de l'autre bout du wagon. Je ne comprends pas tout mais je devine clairement que ça ne se passe pas bien.

Merde mais quand même ! Comment ont été élevés ces mecs ? Si une fille ne veut pas de toi, tu passes ton chemin, pas la peine de la faire chier comme ça. Il y a des comportements qui me dépasseront toujours. Si j'avais agi comme ça, j'imagine que ma mère m'aurait immédiatement collé une grande baffe dans la figure, rapidement suivi de mon père. Je suis déjà mal aimé en faisant tout bien alors avec un pas de travers, j'aurais ma gueule encastrée dans un mur en une seconde.

Welcome to my lifeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant