Chapitre 11

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 Je punaise le faire-part en carton sur la palissade en bois. Pas facile de trouver de la place, elle est quasiment pleine. Il y a un peu de tout. Depuis la première carte de saint Valentin que j'ai reçue, de nombreuses autres se sont trouvées à côté avec des photos ou des cartes postales. Cette palissade, c'est devenu le mur de nos souvenirs à Zella et moi. Cartes pour les fêtes, photos de vacances, cartes postales d'amis ou de la famille, tickets de concerts, de théâtre ou de cinéma... On a pris l'habitude d'épingler ici nos sorties, nos balades, nos plaisirs.

Ça fait plus d'un an qu'elle vit avec moi maintenant, on en a mis des choses sur cette palissade... C'est peut-être idiot mais moi, chaque fois que je passe devant, chaque fois qu'on rajoute un truc là-dessus, ça me serre le cœur et ça le fait battre plus fort. J'ai une vie. Je n'ai aucune raison de déprimer aujourd'hui parce qu'il me suffit d'un regard sur ce mur en bois pour constater que je fais quelque chose, que je ne suis pas seul, que je vis des trucs comme tout le monde.

Je caresse les quelques photos de nos vacances. L'été dernier, pour mes congés, on est partis faire un mini road-trip d'est en ouest dans le pays. C'était si excitant... Partir comme ça, sans plan précis, juste suivre les grandes voies, dévier parfois sur les plus petites et s'arrêter quand on veut pour profiter d'un endroit magnifique ou d'un restaurant sympa. C'était tout nouveau pour elle et moi, et on s'est tellement amusé. Il va falloir qu'on refasse ça rapidement... Peut-être du nord au sud cette fois, ou peut-être dans un autre pays... J'en sais rien mais il va falloir qu'on y réfléchisse, l'été n'est pas si loin. Le temps passe si vite...

Et là, le premier concert qu'on a fait ensemble. Il n'y en a eu que trois mais celui-là, c'était le premier pour nous deux comme pour moi. Je découvrais l'attente, l'impatience, la proximité avec la scène, le son assourdissant, les jeux de lumières éblouissants, l'ambiance électrique... Je lui avais offert pour son anniversaire mais en fait c'était plus mon cadeau à moi pour connaître ça. Au début, je n'étais pas à l'aise dans la foule, serrés comme des sardines à attendre que le rideau tombe mais dès que les premières notes ont résonné, j'ai changé d'univers. J'ai vécu quelque chose de si fort, de si intense... J'avais l'impression de rêver pendant deux heures. Puis Zella était avec moi. On se tenait la main pour sauter ensemble, on chantait parfois à tue-tête et sur une des chansons les plus romantiques, elle m'a embrassé sans la moindre hésitation. Je me suis senti gêné l'espace d'une seconde puis j'ai succombé à ses lèvres et au moment si fort qu'on vivait. C'était comme si la chanson était jouée pour nous, je n'entendais quasiment plus la foule. Juste elle, moi et la musique. C'était si beau.

Et ça, c'est notre photo de famille. Zella, moi et Rabia entre nous. On est morts de rire dessus parce que l'appareil mettait un temps fou à se déclencher. On ne comprenait pas comment le retardateur fonctionnait. Des fois c'était cinq secondes, des fois dix, des fois rien du tout... Résultat : une bonne dizaine de clichés flous et finalement celui-là, net, mais avec nous en train de rire aux éclats. Donc on l'a gardé et affiché.

Mes yeux se reposent sur le faire-part. Je souris en lisant les lignes. Comment j'aurai pu imaginer que ma vie changerait autant en si peu de temps ? Tout ça parce que j'ai aidé Zella un soir dans un tramway... Le destin peut être si étrange parfois. Comment j'aurai pu croire que tout basculerait ainsi ?

« Bill ! »

Je tourne la tête. Dans le couloir, je vois Zella arriver en trottinant. Elle tient le bas de sa robe de mariée et a un air affolé sur le visage.

« Y a une coccinelle qui est tombée.

- Panique pas, je vais la recoudre.

- Oui mais si ça continue, on va arriver en retard.

Welcome to my lifeOù les histoires vivent. Découvrez maintenant