Joongdong High School. Comme on m'avait promit (et notamment à ma mère), l'établissement est ultra épuré. Je ne m'y attendais absolument pas, au contraire, je savais qu'il s'agissait de l'élite, mais lorsqu'on aperçoit aux travers d'une fenêtre d'une salle au hasard les derniers MacBook et autres technologies au point, ça change quand même d'un yard mon état d'esprit. On n'avait pas ça nous, à Paris !
Je traversais l'esplanade pour accéder au hall d'entrée, quand je me rendis compte de ce que j'avais lamentablement oublié, étalé proprement sur mon lit : mon uniforme. Complet. Il était trop tôt pour effacer mes habitudes françaises, et c'est clair que j'ai préféré enfiler le premier jean et le premier top (épaules découvertes, blanc avec des volants, splendide au passage) que j'ai vu dans mon armoire. Tant pis. J'y étais, et même si l'appartement n'est pas si loin du lycée, j'ai préféré continuer. La flemme ? Une habitude française, me direz-vous.
Le hall est majestueux, littéralement, on se croirait dans un mix entre Apple Store, Chanel rue Cambon et Panthéon Sorbonne. Tout était moderne, et l'architecte n'était clairement pas un nouvel arrivant dans le domaine. Tout était symétrique et asymétrique en même temps. C'était neuf, beau, et rien n'était dégradé. Par contre j'étais seule. Pas un seul étudiant à l'horizon. Déjà que je me sentais relativement marginalisée sans mon uniforme, le fait de voir cet espace complètement vide me rendais assez vite mal à l'aise.
Puis, un "annyeong-hasseyo" résonnait derrière moi.
Toute la discussion se fit en coréen, forcément.
"Vous êtes la nouvelle élève n'est-ce pas ?" Me fit l'homme.
Il était grand, et s'il était enseignant, il était plutôt jeune (dans la vingtaine, voire trentaine). Ses cheveux noirs en bataille révélaient des yeux brillants et expressifs. Il avait une mâchoire carrée, et avait lui-même une musculature importante. Bien que sympathique au premier abord, il avait l'air d'être le type de personne qu'il ne fallait pas embêter trop longtemps."Je suis le professeur principal des troisièmes année, de la classe 4. Bienvenue à toi ! Je vais te montrer les locaux, par la suite tu iras faire ta présentation au reste de la classe, et n'oublie pas de t'enregistrer au registre de la cafétéria !" me disait-il d'un air désintéressé.
Je ne pouvais que hocher de la tête, sa présence semble tellement intimidante. Comment les élèves pouvaient se concentrer avec un professeur de ce type à leur côtés ?...
Nous fîmes comme promit un tour rapide du lycée, j'apercevais les toilettes, quelques mètres plus loin les escaliers qui menaient à la cafétéria (elle était gigantesque, sans exagération), une salle d'étude de la taille d'une réception et la bibliothèque. Nous arrivons enfin devant la fameuse porte en bois massive où l'écriteau "3 - 4" y était visible.
"Attends moi là quelques secondes, rentres quand je te le dirais" me dit le professeur.
J'étais mentalement presque prête. Il ouvrit la porte massive et entra, se plaça devant son pupitre et réclamait de l'attention. Il sourit, annonça quelques nouvelles à la classe ainsi qu'un concours d'écriture qui devait arriver. Il finit son discours par annoncer l'arrivée d'une élève étrangère, ce à quoi la classe réagit par un "ooooh" général. "J'espère qu'elle est jolie !" "Elle a notre âge au moins ?" "Mais d'où vient-elle ?" furent les phrases que j'entendis le plus. Et j'étais plutôt rassurée par leur curiosité, je me sentis plus à l'aise... jusqu'à ce que le prof me dit de rentrer.
Je suis de nature assez timide au début mais confiante par la suite, un peu comme tout le monde je pense. Lorsque je rencontre une personne je peux très facilement la mettre à l'aise. Or, devant une assemblée, c'est totalement différent. Je ne suis absolument pas confiante en public, les regards tous rivés sur moi me font peur... et c'était l'occasion d'expérimenter cela.
Mon premier pas résonnait à travers le couloir et la salle de classe. Je tremblais mais essayais mentalement de me rassurer, en me disant que le pire des événements serait de chuter en public... contrairement à ce que vous pensez, non, je n'ai pas chuté. J'ai plus au moins réussi à me calmer, puis vint le moment de parler. Déjà que chaque pas était éprouvant, le silence rajoutait un petit plus à la pesanteur de ma présence. "Et si mon coréen était mauvais ? Encore pire, et si je prenais un accent horrible ?" étaient mes principales pensées. Les battements de mon coeur me rappelaient que le temps passait. Ces regards perçants etaient encore tournés vers moi, et le moment était venu de me lancer.
Je pris mon air le plus sérieux, le plus humble et m'exprimais d'une voix forte accompagnée d'un coréen impeccable :
"Bonjour à tous, je m'appelle Gabrielle et je suis française. J'ai également le même âge que vous, cependant chez nous, nous ne fonctionnons pas de la même façon. Si vous avez des questions à me poser, je suis à votre écoute !"
Je finis de parler par une salutation traditionnelle et un sourire ultra bright. Et si j'en avais trop fait ?
Au moment d'aller m'asseoir à la dernière place de libre (j'ai pris l'initiative d'aller m'asseoir avant qu'on me donne la directive, oui...) une fille se retourna vers moi, l'air hautain et me lança d'un ton froid : "il est où ton uniforme ?"
Plutot dommage... son beau visage et ses longs cheveux soyeux ne faisaient pas le poids face à son caractère de cochon. Je lui répondis poliment que je l'avais simplement oublié à cause de mes habitudes. Elle fit une moue dédaigneuse et se retourna.Le premier jour était globalement sympathique : beaucoup d'élèves étaient venus me poser des questions sur la france, sur moi et ce lors des pauses. Ils disaient être choqués de voir un étranger parler aussi bien coréen. Certains étaient réticents vis à vis du fait qu'une étrangère avait pu facilement intégrer un lycée de haut niveau, d'autres étaient ravis de ma présence. J'avais même réussi à me faire quelques amies.
Vint la fin des cours. Nous sortions tous de l'établissement quand je remarquais une foule sur le côté droit.
La foule s'écartait pour laisser place à une femme, relativement petite, qui avançait, entourée de deux gardes du corps qui faisaient le double de sa taille et de son poids sûrement. Elle avançait, le bruit de ses talons se faisait entendre sur toute l'esplanade, son trench gris s'envolant à n'importe quel mouvement et son carré rebiqué noir flottant. Elle s'arrêtait devant moi, à présent la foule nous entourait. Elle baissa ses lunettes de soleil Givenchy plus bas sur son nez, me fixait et me dit d'un ton froid
"Tu sors assez tôt."
La joie m'emparait. Je ne m'attendais pas à la présence de cette femme à cet endroit précis.
Même si la foule des élèves devenait de plus en plus dense, j'avais l'impression de ne voir personne. D'une voix forte, j'exclamais ma joie. Je sauta dans ses bras et cria de joie : "Maman !"