1 : SITUATION INITIALE

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1 : SITUATION INITIALE

       

— Est-ce que je crushe sur Tony, non... non... Bien sûr que non Ewel ! Mais qu'est-ce que tu me dis là ? Qui tombe amoureuse de Tony ? Non ! Pfffff, je...

Judith bafouille des mots incompréhensibles après avoir nié pendant trois mille ans son coup de cœur sur le basketteur beaucoup trop surcoté du lycée. Pour l'enfoncer un peu plus dans son déni ridicule, je pointe du doigt grossièrement le garçon à l'autre bout du couloir à côté du Ewel blond. Brun aux yeux bleus, comme les filles aiment. Le geste est assez grossier pour que la grande blonde aux lunettes rondes s'empresse de m'attraper le bras et le coller contre le reste de mon corps.

       

— Qui a parlé de tomber amoureux ? répliqué-je en souriant.

La sonnerie retentit, me coupant court dans ma mission : « faire cracher le morceau à Judith ». D'après mes observations, elle en pince pour lui depuis le début des vacances d'été, soit juste après la période de révisions pour son BAC de français. Elle lui avait prêté toutes ses fiches par « générosité », ne voulant pas handicaper un élève de notre classe de S qui avait dû rater quelques cours de fin d'année. Tony Peletier était un gros con jusqu'à son retour des vacances de Pâques, où il a appris malheureusement que sa petite sœur de treize ans s'est volontairement profondément coupé les veines pendant qu'il s'entraînait au basket. Ça a glacé tous les couloirs pendant deux semaines et demi, le temps qu'Ewel Cohen revienne avec d'autres de ses histoires farfelues.

       

— T'as appris pour Ewel ? Il va repasser son code ce trimestre. Il a dit que ça coûtait cher mais son oncle super famous va lui payer les frais. Tout le monde croise les doigts pour lui, raconte ma meilleure amie alors que nous marchons le plus rapidement possible jusqu'à la salle 404.

Nous nous sommes installés en silence au milieu de la salle, à nos places de l'année, là où les professeurs ne nous remarquent jamais. Même quand les professeurs sévères vérifient nos exercices en passant dans les rangs, ils sautent toujours la nôtre, comme si c'était un automatisme inexplicable, un résultat de notre faible présence.

Peut-être qu'on croit exister mais qu'on a en réalité un superpouvoir qui nous rend fantomatique dans les lieux publics comme le lycée. Qui sait ?

Notre professeur d'anglais est une dinde, une folle qui passe chaque minute de sa vie à se faire détester un peu plus par ses élèves. Elle nous dégoûte de la langue, handicape ceux qui veulent bien progresser mais aide étrangement ceux qui sont à la bourre, comme moi.

       

So, who's going to write the date on the board ? Ewel ?

Tout le monde se tourne vers Ewel Cohen, assis en fond de classe avec sa fameuse veste en jean Levi's. Il n'y a jamais l'ombre d'un doute, lorsqu'on prononce « Ewel », ça ne peut qu'être l'Ewel du fond, l'Ewel qui exalte des gens parce qu'il passe le code de route, celui qui réussit à porter des tenues différentes chaque jour : le seul et unique Ewel Cohen.

       

No, the other Ewel, Ewel Fevre right ?

Ah, moi... Judith me donne un coup de coude dans les côtes, me poussant à aller au tableau pour marquer cette maudite date alors que je viens à peine de réaliser qu'on parle de moi. Personne ne se tourne vers moi, préférant largement se concentrer sur leurs discussions désormais. Wednesday, Septembre 21st, 2016. Judith grimace de loin. J'ai sûrement fait une faute quelque part. Le temps que je trouve, l'autre Ewel s'est déjà levé pour inverser deux lettres : Septembre devient September et tout le monde l'applaudit pendant qu'il lève les bras en signe de victoire. Il fait toujours ça, se lever en pleins cours pour « aider » les autres et se mettre en scène. Un professeur sur deux trouve ça irrespectueux, mais madame Pichon, le chouchoutant depuis la seconde où elle a appris qu'il était bilingue, le remercie grandement avec un sourire rayonnant.

DEUX EWEL POUR LE PRIX D'UNOù les histoires vivent. Découvrez maintenant