Entre deux lames

Mamma mia

- Vous l'avez pas manquer... hiiii... une chance que j'étais là, sinon aucun médecin de la ville n'aurait acceptée de soigner cette gamine blessée ! Ici, de surcroît ! se réjouissait un homme dont le ton était gonflé de fierté.

- Et pour quelles raisons ? demanda une autre voix, perplexe.

Ils se trouvaient encore dans la salle de combat, toutefois loin de ceux-ci, dans un coin de salle reculé à l'abri des regards inquisiteurs. Le médecin, un homme chauve barbu, se détachait du groupe par sa forte corpulence et son double menton. Néanmoins, ses yeux pétillaient d'intelligence. Il appliquait une compresse d'eau sur le front de Meredith allongée sur le sol, telle une princesse du feu endormie.

- Celle-là, y a pas à se demander pourquoi ! pouffa le médecin.

- Et... insista l'autre, impatient.

Face au médecin se dressait de toute sa hauteur Aldric, ses yeux sombres posés sur la demoiselle. Une curiosité émanait de son regard, comme s'il investiguait sur la jeune femme à son insu.

- Vol, participation à des combats hautement interdits, diffamation en présence de Sa Majesté... autre chose ?

Les yeux d'Aldric s'écarquillèrent de surprise avant de se fixer à leur interlocuteur.

- Sa... Sa Majesté ?

Le médecin soupira, causant de minuscules séismes dans sa longue barbe brune.

- Il y a de cela plusieurs années, son père a tenté de lui faire rejoindre les rangs des chevaliers, puisque c'était le rêve de sa chère fille de combattre sa vie durant. Malheureusement, dès que ces obscènes paroles ont franchi les lèvres du forgeron, la mine du roi s'est figé d'horreur. Pour lui, s'aurait été une véritable honte qu'une humaine femelle protège le royaume, en plus de sa propre personne !

Il effectua une pause, son front plissé à ce malencontreu souvenir.

- Et la petite... souffla-t-il en déviant son regard vers elle. Elle ne l'a aucunement accepté, entrant dans une colère noire. Avançant en direction du roi, bien plus proche que quiconque en avait le droit, Meredith clamait cette injustice intolérable, son poing bravant les lois instaurés. Elle accusa l'empereur d'agir en imbécile, à son seul compte et dans des buts scélérats... Subséquemment, elle a passé un mois en geôle. Si ce n'avait été de son père qui a marchandé sa libération, elle aurait été exécuté.

Dès que sa phrase fut achevé, les paupières de Meredith s'ouvrirent d'un coup, avant qu'elle ne se lève avec empressement.

- Où est-il que je lui apprenne les bonnes manières à cet enfant de chi....

Réalisant qu'il était juste en face d'elle, elle s'arrêta net dans son envolée, avant de s'asseoir de nouveau, déboussolée.

Quant à Aldric, un demi-sourire s'affichait sur son visage.

- Cet enfant de.. ? Que souhaitiez-vous dire, ma chère ? D'ailleurs, comment se porte votre front ? souria-t-il malicieusement, fier de sa victoire.

Meredith ignora sa provocation, cherchant autre chose dans la salle. Puis, elle s'adressa au médecin, la voix serrée d'angoisse :

- Savez-vous où se trouve mon épée ?

Il lui adressa un sourire chaleureux.

- À votre droite. C'est monsieur ici présent qui vous l'a rapporté, en plus de vous-même, question de vous éloigner des duels.

Les joues de Meredith rosirent à cette déclaration, avant de donner un visage reconnaissant à son ancien ennemi.

- Merci.

- C'était la moindre des choses.

Il lui renvoya son sourire, pour une fois franc et ouvert, ce qui éclaira magnifiquement son faciès. Meredith l'étudia, remarquant la beauté de ce visage pour la toute première fois, comme si le rideau de rage qui couvrait ses yeux s'abaissaient enfin suite à l'empoignade qu'ils avaient eu à la sortie de l'atelier de son père. Ses yeux tombèrent alors sur ses lèvres, qui lui donnèrent immédiatement envie.

- Tout va bien, demoiselle ? demanda le médecin. Si vous répondez par l'affirmative, je pourrai retrouver mon cher chez-moi et le délicieux souper qui m'attend.

- Euh...

Meredith cligna des paupières avant de tourner son attention vers le guérisseur, un peu perdue. Réalisant soudainement ce qu'il venait de lui requérir, elle opina du chef :

- Grâce à vous et à ce jeune homme, je suis de nouveau sur pied ! le remercia-t-elle avec un sourire amical.

Il partit donc, laissant les deux autre seuls. Enfin, autant qu'on peut l'être dans une pièce remplie de guerriers.

Aldric, nonchalant, fit un signe de tête vers les secteurs de combat, puis s'adressa à Meredith :

- Prête pour continuer à monter les étages ou vous déclarez forfait ? Quoique, ce serait compréhensible après le coup que je vous ai fait.

On voyait bien qu'il tentait de cacher sa fierté, mais de se savoir si prêt de rafler la mise l'enorguillait. Curieusement, la chaleur au creu du ventre à Meredith redoubla d'intensité, mêlant une fureur explosive à un désir grandissant.

Sans gêne aucune, elle empoigna le col d'Aldric, l'approcha si près que leurs souffles se mêlaient, avant de lui cracher à la figure :

- Ma lame fracassera avec tant de force la vôtre que seul le Diable saura relevez votre cul d'impotent !

Un sourire mystérieux s'étira sur son visage.

- C'est bien ce que l'on verra, répondit-il doucement, ne réagissant aucunement à sa montée de colère.

C'est sur cette phrase qu'ils prirent chacun leur chemin, l'un se dirigeant vers la gauche des stands et montant d'un palier, l'autre restant sur le même étage mais faisant partie des combats de droite.

Contre toute attente, la jeune femme à la crinière flamboyante leva sa lame bien haut, avant de tonner :

- Entre deux lames, suis-je né, entre deux lames, celles de l'abandon et l'amour, ais-je combattis l'espoir, entre deux lames, recevais-je mon trophée !

Un tonnerre de cris envahit la pièce au grand désarroi d'Aldric qui, déboussolé, observait tantôt sa concurrente, tantôt les hommes de la place. Sembla-t-il, il ne comprenait la mesure de cette déclaration on ne peut plus poétique et toute la portée qu'elle signifiait pour ces hommes. Malgré tout, il monta jusqu'à son propre duel, la mine sombre.

Meredith souria cette victoire. Même si elle venait d'essuyer un cuisant échec, sa notoriété ici restait de marbre. C'est la tête haute qu'elle se dirigea vers son nouvel ennemi.