L'appel de la forêt

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-Allez! Les CM1, mettez vous en rang on va compter que vous êtes tous là.

Émilie descend du bus en dernier, elle n'a pas vu le trajet passer, collée à la fenêtre, rêvassante.
Quand elle se mit en rang à côté de ses camarades, elle sentit la terre sous ses pieds.
C'était agréable, un sentiment de joie sauvage s'empara d'elle, elle sourit et respira l'air pur et chargé d'odeur de la forêt.

Son odorat développé lui permis de sentir l'humus et la l'humidité. Elle huma la fraicheur des feuilles et le parfum entêtant des sapins, la bouche ouverte.

La sortie scolaire se faisait en automne afin que le temps ne sois pas trop froid et que les enfants puissent voir les jolies couleurs du paysage tout en apprenant le dur métier de bûcheron.

En s'enfonçant sur le chemin rocailleux, Émilie traînait, se baissant toutes les 5 minutes pour regarder un insecte rampant, volant, grimpant, à vrai dire tout ce qui bougeait (ou pas). Elle avait appris à l'école que même si les plantes ne bougeaient pas, elles faisaient parties des êtres vivants, comme les arbres, les animaux, les insectes.

-Émilie ne te sépare pas du groupe s'il te plaît, avance plus vite. Lui ordonna la Maîtresse.
Émilie courra alors pour rattraper les enfants.

Ils arrivèrent dans un endroit où le chemin se rétressissait. Les longues branches des sapins caressaient Émilie, comme des bras tendus, en demande d'affection. La fillette leva haut la tête puis sourit en se disant que les arbres était comme elle, ils avaient la tête dans les nuages.
En continuant à marcher sur l'étroit chemin, Émilie, continuait de serrer la main à chaque bras d'épines douces qui se présentait à elle. Le terrain se faisait petit à petit plus large.
L'enfant arriva alors à un arbre souffrant, ses membres avaient été arrachés et des rides de douleurs creusaient sa peau; une immense plaie était marquée sur son corps, le tout maculé de sang séché. La petite, prise d'une soudaine panique appela sa tutrice:
"-Maitresse ! Maitresse ! Il est blessé !"
L'enseignante arriva, affolée :
"-Qui s'est fait mal?"
"-L'arbre, maitresse, il a mal! Il faut l'aider! Il a même pleuré, lui qui est si grand. Déclara l'enfant en désignant des traînées blanches étant des sécrétions aviaires.
-Oh, voyons Émilie ! C'est un arbre, il n'a pas mal. Répondit l'adulte, amusée et rassurée."

La gamine, peinée d'être ainsi déconsidérée et qu'on ne fasse rien pour ce pauvre arbre, se renferma sur elle-même. Elle jeta un dernier regard désolé au sapin et suivit d'un pas lourd les élèves.
Au cours du trajet, elle perdit son humeur boudeuse en regardant les animaux, les fleurs et en jouant avec Amy.

Absorbée par son débat passionnant et fondamental sur la qualité des jouets Petshop ou Pollypocket (Stéphan avait même rajouté son opinon en parlant des cartes pokémon), Émilie ne se rendit pas compte de l'endroit où elle était arrivée.

Lorsque la maîtresse prit la parole, elle releva la tête.
Elle se trouvait dans une clairière, entourée d'arbres meurtris. Des tas de machines et d'outils de tortures et de massacre l'assiégeait.
Diverses êtres vivants se trouvaient au sol non loin d'elle, tous morts. Les cadavres étaient découpés, ligotés et mis dans des filets ou sacs. Certains étaient même broyés.
L'odeur de la mort complétait ce massacre. Poussière suffocante, sève, sang, sciure, faisait soulever son cœur.
Elle s'approcha avec rancœur et haine d'une des victimes, posa sa main dessus le corps, son expression horrifiée face à la tuerie, une larme coula sur ses petites lèvres boudeuses et tremblantes tandis qu'elle enlevait sa main, désormais poisseuse de sang, épais et translucide, légèrement ambré, couleur macabrement magnifique.

De grands monsieurs costauds bloquaient l'entrée d'où elle était arrivée, la maîtresse souriait à un criminel et les enfants semblaient excités par ce génocide. Puisqu'Émilie en était sûre, les "bûcherons" exécuteraient ainsi tous les arbres, dans le monde entier et seulement une minorité de gens semblait s'en préoccuper, après tout, Émilie était la seule d'une classe de 34 à s'être soucier de la mort de ses immenses amis.

Sortie de ses réflexions, la petite fille remarqua le grand homme qui venait vers elle, de grosses mains rugueuse, un habit résistant, un visage sans expression.
"- Allez petite, va rejoindre les autres, on a du travail ici!"
Cria-t-il, son ton aussi bourrin que sa silhouette.

La fillette terrifiée courut en direction de la forêt, vers les arbres qui l'avaient saluée.
Cependant, les grands conifères, désespérés du sort qu'ils allaient subir, s'accrochaient à elle, leurs mains griffaient son visage et ses vêtements, ils la frappaient, déboulant de nulle part, lui faisant des croche-pieds, ils murmuraient qu'elle était lâche, qu'ils avaient besoin d'elle, ils la suppliaient, la méprisaient.
Les pas lourds du tueur en série s'approchaient d'elle, elle avait peur; elle est tombée, aveuglée par les larmes, elle s'est refugiée sous un arbre priant pour que l'ogre des histoires pour enfants, pour que le Grand Méchant Loup, ne la trouve pas.

À tous les sens.Où les histoires vivent. Découvrez maintenant