Travail de précision

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Un quadrillage recouvre l'une des copies de mon portrait. Sur une feuille A3 semi-épaisse, notre papier de prédilection aux Arts Graphiques, un quadrillage est tracé de la même manière que sur le cliché. 

Installé à mon bureau, un après-midi, je commence officiellement la plus grosse partie du travail : Reproduire le cliché dans des proportions agrandies sur une page A3, en noir et blanc, à l'aide d'un quadrillage de repère. Le dessin se doit d'être aussi réaliste que le cliché, de sorte qu'on en arrive presque à les confondre. Slight a donné le ton, lors de la présentation du devoir. 

Ce dernier nous a donné deux semaines pour terminer l'autoportrait. D'après ses estimations, une bonne quinzaine d'heures serait nécessaire pour en arriver à bout. C'était sans compter sur la difficulté à retranscrire la même impression que le cliché en dessin. Quid de l'aspect agressif de mon autoportrait ? Si les étapes clés de la reproduction graphique échouent, je suis bon pour tout recommencer. Les yeux, par exemple. C'est l'étape la plus tendue et la plus importante de tout le devoir. Un regard mal redessiné et le portrait est foutu. 

Néanmoins, je me lance corps et âme dans le dessin, appliqué comme jamais. 

Quelques jours plus tard, Logan, Jordan, Fabricio et moi nous retrouvons au McDo, à la pause du midi. Entre deux bouchées dans nos McFirst respectifs, nous sommes tous sur nos autoportraits. La masse de devoirs des autres cours nous impose de gratter notre temps libre pour avancer sur le dessin, sans quoi Slight nous mettra sans doute une flèche si le devoir n'est pas rendu à temps. 

« Ça prend forme ! Lancé-je à Logan en regardant son travail. 

Son visage, ainsi que la moitié de son buste, sont dessinés. Pour le reste, il a opté pour un timide tracé au crayon pour délimiter les contours marqués de son cliché. De cette manière, il a déjà une idée de la structure du dessin et il lui suffit de remplir en nuançant le gris, pour faire son rendu en hyperréalisme. 

— J'ai commencé à le faire l'autre soir et depuis j'me fous dessus dès que je peux, répond Logan. Ça m'aide à penser à autre chose que toutes mes merdes.
— Faudrait que j'ai des problèmes perso comme les tiens, rétorqué-je amusé, ça me bougerait peut-être un peu plus pour le finir. » 

En comparant son travail et le mien, la différence se constate. Il est à la moitié de son dessin, j'en suis au tiers. Mais en comparant nos travaux à celui de Fabricio, difficile de rester sérieux. La notion d'hyperréalisme n'a pas l'air d'évoquer grand-chose à notre génie légendaire. 

« Un rendu réaliste, Fabricio, ça t'évoque quelque chose ? dis-je à l'intéressé. 
— Le réalisme n'est qu'une histoire de perception, mon garçon », répond-il en gloussant. 

Comme on s'y attendait, Fabricio s'est amusé à faire un portrait loufoque. Expression faciale proche de la folie, chaussettes sur le bord de son épaule, pipe à la bouche, impossible de déterminer ce qui lui est passé par la tête pour inspirer une telle chose. 

Jordan, lui, a calmement avancé son autoportrait avec son sabre tendu verticalement devant son visage. La lame passe pile devant son œil gauche et, par conséquent, le dissimule. Lui aussi a opté pour un clair/obscur, une technique définitivement efficace. 

« Les yeux et l'expression de la bouche c'est ce qu'il y a de plus dur à refaire, commente Logan en montrant le visage sur son dessin. C'est un vrai travail de précision. Mais si on arrive à reproduire l'expression du visage, on arrivera facilement à faire le reste. »

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