Belle qualité plastique

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Le jour de l'échéance, nous arrivons en cours avec nos autoportraits sous le bras. La coutume, avec le professeur Slight, c'est de rendre chaque devoir dans une pochette fabriquée de toute pièce. C'est un aspect sur lequel je ne me foule pas des masses, tout comme Logan. Nos pochettes sont généralement très basiques. Si Logan joue sur le minimalisme pour produire quelque chose qui soit un minimum convenable, mes pochettes se résument au titre du devoir, et mon nom/prénom. Les pertes d'inspiration ne se limitent pas qu'a un devoir, loin de là, même s'il s'agit plutôt d'un problème de volonté qu'autre chose. 

À tour de rôle, toute la classe se déplace au bureau du professeur, pendant qu'il fait l'appel sur son iMac. À mon approche, il relève les yeux au-dessus de ses lunettes pour me regarder. Je le dépose sans rien dire et laisse ma place à Logan. 

« Toujours aussi recherché, monsieur Ellis, lance ironiquement le père Slight.
— Je tâche de m'appliquer, répond-il en rigolant.
— Mais c'est minimaliste, c'est bien ! S'esclaffe Slight. C'est un beau concept mêlant l'artistique à la flemme, chose pour laquelle votre collègue n'a développé que la seconde partie. »

Les autres de la classe se mettent à rire. Le sarcasme de ce prof fait rêver. 

Slight s'attelle à regarder chacune de nos œuvres pendant les 3 heures de cours en notre compagnie. Pendant ce temps, nous nous initions au fusain. Cette forme d'art aussi complexe que magnifique, aussi intéressante que salissante. 

Alors qu'on s'applique à reproduire une tête de cheval en plâtre, située juste en face de nous, le père Slight commence à distribuer un à un les dossiers d'autoportrait, en ne se privant pas de faire des commentaires à voix haute, histoire d'amuser la galerie. Certains n'ont pas manqué d'audace pour produire des autoportraits très loin des objectifs fixés. 

« Votre autoportrait est aussi loufoque qu'en dehors des clous, Fabricio, lance le père Slight en direction du génie de la classe. J'ai du mal à voir si c'est un python ou une chaussette géante autour de votre cou !
— Ah ça c'est une question de perception psychologique m'sieu, bégaie Fabricio au top de sa forme.

Fou rire général. Impossible de se retenir avec lui. On a beau savoir à quoi s'attendre, avec toutes les conneries qu'il nous pond, pourtant, il nous épate encore et encore. 

Slight dépose l'autoportrait de Logan devant lui. 

— Ne perdez pas la main, commente le prof. Vous avez un réel talent pour l'hyperréalisme, mais il y a encore quelques détails à peaufiner. »

Logan s'empresse d'ouvrir le dossier pour y découvrir l'appréciation du professeur et la note finale. 

Le travail est très soigné et j'y vois par endroits de belles finesses. Le portrait semble cependant très légèrement stylisé (dessin des yeux). Des valeurs plus poussées sur le visage et un fond plus homogène auraient rendu ce travail encore plus spectaculaire. L'hyperréalisme demande une reproduction plus fidèle ; c'est toutefois, en soi, un bon dessin et le travail va dans la bonne direction. 15

Je crois que je n'ai jamais vu Logan avoir l'air autant ébahi. Et pour cause : La note est impressionnante. On parle du père Slight, sans doute le plus exigeant et le plus intransigeant des professeurs de cette école. Un 10 de sa part équivaut presque à un 17. Alors un 15 !

« T'as gagné ton ticket pour les portes ouvertes, dit Gwen.
— J'ai pas chié les yeux, mais ils ne sont pas naturels, rétorque Logan. J'aurais pu avoir un 18 ! »

Slight apporte ensuite mon dossier, tout en se gardant de bavarder sur mes 4 heures de recherche certaines pour la conception de la pochette. 

« Il y a du niveau, ajoute Slight à mon encontre. C'est assez impressionnant ! Vous suivez la lignée de votre collègue, cependant, attention aux contours. » 

En ouvrant le dossier, je découvre, à mon tour, l'appréciation du prof et sa note : 

Le choix du clair/obscur pour cet autoportrait résolument agressif était un choix osé, mais ambitieux. Vous semblez contrôler les nuances de gris et le contraste. Cependant, le travail aurait pu avoir un rendu plus impressionnant de réalisme en dissimulant les contours de certaines parties du dessin. L'hyperréalisme joue sur l'absence de contours marqués, c'est un détail qui le différencie des autres techniques de dessin. 
Vous êtes cependant sur la bonne voie.
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« Je m'attendais à ce qu'il me marque un truc du genre : belle qualité plastique : 4/20, mais apparemment je suis pas un cas si désespéré », rigolé-je.

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