Partie 4

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A mon réveil la jeune fille a disparu. Qui sait si je la reverrai un jour ? Elle a dû prendre froid sans doute, ou bien elle a eu peur de moi, comme tout le monde. Même moi je m'effraie de temps en  temps, je m'effraie en pensant, en bougeant, en parlant. Oui ça m'arrive de parler, d'ouvrir la bouche, de laisser ma gorge se dilater et de sortir des sons, des sons audibles, des sons qui forment des mots, des mots qui deviennent des phrases, des phrases qui ont du sens. Enfin, parfois elles en ont, j'espère. Pour moi en tout cas elles en ont. C'est ce qui est le plus important m'a-t-on dit, de se comprendre soi-même, de comprendre ce qui nous passe par la tête, parce que si on ne se comprend pas, c'est qu'on est fou. Et moi je ne veux pas être folle. 

Des flocons de neige se mettent à tomber doucement dans le ciel, flottant dans l'air matinal, caressant chacune des couches d'air, jusqu'à venir se poser sur ma joue, rougie par le froid de l'hiver. Ils se mettent à recouvrir chacun des arbres, chacune des branches, chacune des feuilles, chaque parcelle de terre, ils se mettent même à recouvrir mon banc, d'un drap blanc et soyeux. Ils me piquent joyeusement le nez et j'entrouvre la bouche pour laisser les flocons lentement s'y déposer, les laissant fondre sur la chaleur de ma langue. Je ferme les yeux et me laisse emporter par ce doux plaisir d'enfant.

Des pas raisonnent sur le sol enneigé, j'entrouvre les yeux et vois deux personnes, se tenant par la main, approcher du banc en face du mien. Elle, porte une écharpe et un bonnet rouge qui lui recouvre les oreilles. Lui, porte une veste bleue marine remontée jusqu'au menton. Ils s'avancent joyeusement dans le parc, et vont s'asseoir sur le banc.

Ils se regardent tendrement, s'enlaçant les doigts, et se prononçant des mots doux à l'oreille. Aucun d'eux ne me regarde, je n'existe pas dans leur monde, parce qu'ils sont dans leur monde à eux, dans leur monde à tout les deux. Dans ce monde ils peuvent être eux-même, ils peuvent parler, ils peuvent rire, ils peuvent s'aimer. Tout le monde leur envie ce monde. Ce monde où plus rien n'a d'importance, ce monde où tout paraît si simple.

Elle se blottit dans ses bras et ferme les yeux. Elle lui fait confiance, et il lui fait confiance. Mais la confiance est relative à chacun non ? Dans combien de temps apprendra-t-elle qu'il ne l'aime plus ? Dans combien de temps apprendra-t-il qu'elle veut partir ? Dans combien de temps tout cela s'arrêtera-t-il ?Parce que tout finit toujours par s'arrêter un jour, c'est comme ça,on naît pour mourir, et l'amour aussi naît pour mourir. Parce que tout meurt, on est pas éternel, rien n'est éternel, même l'humanité des hommes n'est pas éternel, même la nature n'est pas éternel, même le temps, l'espace, la vie ne sont pas éternels.Vous trouvez que je me répète hein ? Je sais, je le sais que je me répète, c'est ce qu'elle arrête pas de me dire la doc, que je me répète en boucle, que je dois faire attention à ce que je dis à ce que je pense, pour ne plus me répéter tout le temps. Mais j'y peux rien moi, ça sort tout seul, ça découle et ça dégorge et ça se répète encore et encore, et je peux rien faire pour l'arrêter.

C'est comme les histoires d'amour cette histoire de répétition. On aime quelqu'un puis on le quitte ou il nous quitte, puis on aime une autre personne, qui nous quitte, et encore une autre qu'on quitte et ainsi de suite. C'est comme le temps, c'est une boucle infernale et on est coincé dedans, on est coincé dedans et on peut pas en sortir. Ou alors on ne veut pas sortir. Parce que pour s'en sortir dans la vie,il faut un peu de volonté, il faut un peu y mettre du sien. Parce que sinon on ne s'en sort pas, jamais.

Les deux sur le banc, ils sont encore jeunes, ils commencent à peine.Ils ne savent pas tout ça encore, ils ne savent pas à quel point ils vont souffrir quand tout sera fini, ils ne savent pas que s'attacher c'est se faire souffrir soi-même, ils ne savent pas encore à quel point ça fait mal.

Alors les flocons tombent lentement sur leurs têtes ébahies, leurs têtes ébahies d'enfants qui s'aiment, d'enfants insouciants du monde qui les entourent. Et ils restent dans leur monde, leur monde à eux.Leur monde où tout va bien, où rien ne leur arrive. Jusqu'au jour où tout ça, ça leur explosera à la figure.



Le BancOù les histoires vivent. Découvrez maintenant