Partie 5

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Je me souviens d'un soir, un soir que j'ai adoré, un soir qui m'a marqué, je me souviens d'un soir, c'était un soir de Noël. J'ai toujours adoré Noël, c'est sûrement l'une de mes fêtes préférées. Tout le monde s'amuse, tout le monde ri, tout le monde est heureux à Noël.

Il y a le gui sous la porte d'entrée, le tapis qui dit « bienvenue » avec un petit renne dessiné dessus, et puis il a le sapin de Noël avec ses boules et ses guirlandes disposées un peu n'importe comment par mes petites mains d'enfant. Il y a la neige, les batailles de boule de neige, les bonhommes de neige, la beauté et la blancheur de la neige qui recouvre le jardin.

Et puis il y a l'odeur de la dinde cuite par maman, les cookies faits par mamie, et le vin chaud épicé ramené par les invités.

Il y a papy assis sur son fauteuil rembourré qui regarde tous ses petits enfants gambader dans le salon, l'oncle qui a déjà un peu trop bu et dont personne ne fait plus attention depuis des années. Vous savez ? Celui qu'on invite toujours un peu par dépit, pour faire comme si ? Celui qui est toujours disponible alors qu'on aimerait qu'il reste sagement chez lui ? Vous savez ? Celui dont vos parents parleront pendant tout le trajet du retour à la maison ? Et bien il y avait cet oncle ce soir-là.

Et puis il y avait mamie Madeleine, avec son odeur de fleur fané, qui vous faisait toujours des bisous mouillés et qui vous saisissait les joues pour les pincer maladroitement.

Il y a aussi les petits-cousins et petites-cousines, qui courent et hurlent dans tous les sens jusqu'à s'affaler dans le canapé.

Mais mon moment préféré, c'est quand mon papa se déguisait en Père Noël et que je faisais semblant d'y croire. Il était tellement heureux et tellement joyeux que je n'ai jamais pu lui dire que j'avais déjà tout compris. Alors j'ai encore joué le jeu ce soir-là, et il était tellement content avec ses « HOHOHO » qu'il sortait à tout bout de champs.

Il est arrivé avec son énorme hotte remplie de cadeaux et les a déposé un à un sous le sapin. Il a pris un des cookie de mamie, les a trempé dans le lait que je lui avais préparé et il est reparti tout sourire.

Et puis mon père est apparu quelques minutes plus tard, faisant l'étonné et le déçu de n'avoir pas croisé le Père Noël ce soir-là.

Cette soirée-là, je m'en souviens très bien. Vous savez pourquoi ? Parce que c'est le dernier Noël que j'ai passé à la maison, le dernier Noël que j'ai passé en famille, le dernier Noël qui a enchanté mon âme d'enfant.

Parce qu'après ce fameux soir, rien n'a plus jamais été pareil.

Vers mes douze ans, j'ai commencé mes crises. Je voyais des choses. Oui je vois des choses, des choses que vous vous ne voyez pas, des choses que personne ne voit à part moi. Et je les entends ces choses, elles me parlent ces choses, mais vous vous n'entendez rien, vous ne comprenez rien. Alors quand j'ai eu douze ans et que ces choses ont commencé à se manifester, mes parents m'ont emmené voir quelqu'un. Un médecin qui soigne en parlant qu'ils m'ont dit. Mais moi je ne voulez pas parler. Je ne voulez pas parler parce que j'ai bien vu que quand je leur racontais ce que je voyais et ce que j'entendais je leur faisais peur. Parce que selon eux c'est pas normal tout ça. Moi j'étais pas normale. Mais quand on a douze ans c'est quoi être normal ? Ça apporte quoi d'être comme tout le monde ? A douze ans on s'en fiche de ça. Mais mes parents ils ne s'en fichaient pas. C'était important pour eux, d'avoir une petite fille normale, pour pas qu'on pense qu'ils avaient mal fait leur boulot, pour pas qu'on pense qu'ils ne m'avaient pas éduqué correctement.

Alors à treize ans, quand j'ai compris que je ne devais plus en parler, que je ne devais plus en parler à personne, que je ne devais plus parler à ces choses qui m'apparaissaient, j'ai arrêté, et j'ai fait semblant que tout allait bien, que c'était parti comme c'était venu. J'ai fait semblant d'aller bien, parce que c'était plus facile. On ne devrait pas avoir à faire ce choix quand on a treize ans. On ne devrait à faire aucun choix, on devrait être soutenu, on devrait être compris. Mais ça ne marche pas comme ça. Alors j'ai arrêté de parler tout court. Je n'ai plus jamais parlé à personne, comme ça je n'avais pas à mentir, je n'avais plus à cacher tout ça. Il suffisait juste de ne plus parler. Alors je me suis tue, avalant ma rage dans un stoïcisme muet, tout simplement.

Mon mutisme n'a jamais gêné personne, pour eux c'était normal, c'était dû au choc, ça passera un jour, voilà ce qu'ils disaient tous, ça passera un jour.

 Et quelques années plus tard, j'ai explosé. On ne peut pas se taire indéfiniment, c'est pas possible. Alors j'ai explosé, j'ai explosé d'un coup et ça leur a fait tout drôle à tous. Ça leur a fait tout drôle parce que tout ce que j'avais gardé en moi pendant tout ce temps, tout ce que j'avais tue, tout est sorti d'un coup. Et ça , ça ne leur a pas fait du bien.

Le BancOù les histoires vivent. Découvrez maintenant