Partie 15

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Je me réveille les yeux pleins de larmes. Je ravale ma tristesse à la seconde même où Gloria s'approche de moi. Même dans ces conditions, je ne supporterai pas qu'elle me voit souffrir.


Étrangement, elle ne vient pas me balancer dans mon fauteuil aujourd'hui. Elle tire les rideaux pour y laisser entrer la lumière du soleil qui brille de l'extérieur et dépose un bouquet de fleurs sur ma table de chevet. Elle me détache les poignets, change les draps et sort.


Je ne comprends pas. Pourquoi un tel changement d'attitude subitement ? La directrice de l'hôpital entre royalement dans la chambre et me scrute de son regard inquiet. C'est la première fois que cette femme vient me voir directement. A ce qu'on dit, jamais elle n'est entrée dans une seule des chambres de l'internat.


« Bonjour mademoiselle Pâris. Je me présente, je suis madame Andrews, directrice de cet établissement. Comme vous devez sûrement le savoir, je ne suis pas une habituée des chambres dans lesquelles vous vous situez. Néanmoins, cette journée est une journée importante mademoiselle Pâris. En effet, aujourd'hui est la première fois depuis des années qu'une personne extérieure à cet hôpital vient rendre visite à un patient. Et cette personne ne vient pas voir n'importe qui mademoiselle Pâris. Elle vient vous voir vous. Ne soyez pas étonnée, je sais à quel point cette nouvelle peut être très perturbante pour vous. C'est aussi pour cette raison que je viens vous voir en personne. Vous comprenez, à l'extérieur, les personnes se font souvent une image négative des hôpitaux de type psychiatrique. C'est pourquoi j'avais dans l'espoir que vous puissiez expliquer à cette charmante personne qui vient vous voir à quel point vivre ici est positif dans votre cas, ainsi que pour tous les patients qui s'y trouve. Je ne vous dérangerai pas plus longtemps. J'espère réellement que vous mesurez tout l'enjeu de cette visite et que vous ferez en sorte qu'elle se passe au mieux. Je vous souhaite une agréable journée mademoiselle Pâris. »


Je ne comprends pas, quelqu'un est venu à l'hôpital ? Quelqu'un est venu me voir moi ? Personne ne vient jamais. Personne n'a jamais envie de venir ici, c'est normal.  Alors pourquoi ? Qui est assez fou pour venir s'aventurer ici ? Qui est assez fou pour venir me parler ?


Une grande femme passe la porte, ouverte par Gloria. Elle est très belle et paraît tellement sûre d'elle que mes épaules se soulèvent automatiquement à sa vue. Elle me regarde de ses yeux bruns et me sourit. Tous mes muscles se figent quand je comprends enfin.


Qu'est-ce qu'elle fait là ? Je ne veux pas la voir. Je ne veux plus jamais la voir. Elle m'a abandonné, elle n'a rien à faire ici. Je n'ai absolument rien à lui dire.  Au diable le discours minable d'Andrews, au diable Gloria, au diable ma mère.


Elle s'approche lentement de mon lit, et tente de me jeter son regard le plus tendre. Je me recule au maximum à son approche, m'enfonçant le plus profondément possible dans le matelas de mon lit. Gloria part et ferme la porte, et là je sais que je suis bloquée. Je n'ai nul part où aller, nul part où fuir. Elle s'approche encore jusqu'à frôler les draps et s'assoit sur le bord du lit. Elle tend sa main vers mon visage, tentant de me caresser la joue. Mais je la retire violemment à son contact. Il faut qu'elle comprenne, qu'elle comprenne que je ne veux pas d'elle.


Elle reste assise à me regarder tristement pendant encore quelques minutes, et finit par prendre la parole.


« Salut ma puce. Tu vas bien ? Il te traite correctement ici ? Madame Andrews m'a dit que tout se passait à merveille. Je suis vraiment désolée, tu sais. Je suis désolée de ne pas être venue plus tôt. Je sais, j'aurai dû. Mais il m'a fallu du temps, il m'a fallu du temps pour accepter tout ça. Déjà qu'il y avait ces choses que tu voyais, et puis il y a eu ton entrée ici, et enfin ta TS. Il m'a fallu du temps pour m'en remettre, tu comprends ? »


Je la regarde durement espérant qu'elle finisse par changer d'avis et partir le plus vite possible pour s'éloigner de ma présence. Mais elle ne fait que se lever et se diriger lentement vers la fenêtre.


« Tu ne parles toujours pas, hein ? Je sais à quel point c'est dur pour toi. Je te comprends. Et je suis là pour toi aujourd'hui, je serai toujours là pour toi. Je sais que toutes les deux on est partie sur de mauvaises bases, mais je pense qu'il est temps de changer tout ça, tu ne crois pas ? Ton père n'a pas voulu m'accompagner quand il a su que je venais te voir, mais tu sais comme il est ? Lui aussi finira par changer d'avis. Et puis, avec la bonne nouvelle qu'on vient d'avoir, il faut le comprendre. »


Elle me regarde et se caresse tendrement le ventre. Et là je comprends. Je comprends que mon père a dû avoir du mal à se faire à l'idée que j'allais approcher son futur enfant, je comprends qu'ils sont prêts à passer à autre chose tous les deux, à se reconstruire, sans moi. Je comprends qu'elle n'est ici que pour se donner bonne conscience, pour s'assurer que j'ai déjà tellement débloqué qu'il est trop tard et que c'est mieux pour elle si elle ne vient plus jamais me voir. Je comprends qu'elle n'attend qu'une seule chose depuis qu'elle est entrée dans cette pièce, elle attend que je craque et que je devienne totalement folle.


Alors pour qu'elle s'arrête de parler, pour qu'elle arrête enfin de faire semblant, je fais ce qu'elle attend de moi, je craque, je craque comme je n'ai encore jamais craquer jusqu'ici. Tout mon corps se met à débloquer, il tremble à n'en plus finir, il se raidit, il se refroidit, et mon esprit avec lui.



 Et elle part.

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