Partie 2

31 2 0
                                    

Les gens passent devant moi sans me regarder, sans regarder les bancs, sans regarder ni les arbres ni les feuilles sur leur passage, le gens ne prennent plus le temps de rien. Ils vont vite, tout le temps, ils courent, ils crient, ils s'énervent, et le temps les rattrape, le temps les contrôle, parce qu'ils ne se contrôlent pas eux-même, parce qu'ils ont peur de prendre le contrôle, alors ils le laissent au temps et ils n'ont plus le temps.

L'eau du lac s'écoule lentement autour du parc, s'étendant aussi rapidement que le temps. Le bruit me berce gracieusement, douce mélodie de la nuit. Je m'allonge sur mon banc et ferme les yeux. Mes paupières sont lourdes et me pèsent, mon esprit tourne et retourne et je me perd, je me perd dans le dédale de mes idées, de mes idées folles, de mes idées absurdes que je ne comprend pas, je ne comprend jamais rien. Comment vivre quand on ne comprend rien ? Comment vivre quand notre esprit est traversé d'idées moches, d'idées qui font mal, qui font souffrir, qui nous donnent envie de souffrir ? Je ne sais pas.

Une femme vient s'asseoir sur le banc d'en face, c'est la deuxième personne que je vois s'asseoir sur ce banc. Cette femme est vieille, ses yeux sont tirés, fatigués, usés par le temps. Elle a usé de tout son temps, elle le sait, c'est pour ça qu'elle est là, qu'elle vient perdre son temps sur ce banc, avec moi. Elle paraît fatiguée, fatiguée de vivre. Elle aurait voulu ne plus vivre, ou continuellement dormir, dormir pour ne plus voir, dormir pour ne plus penser, dormir pour ne plus penser à ce qu'elle voit. Elle regarde le lac, l'eau qui coule sur la berge, elle s'approche doucement et songe à Narcisse, elle se regarde dans l'eau et se voit, elle voit sa vie, tout ce qu'elle a traversé, tout ce qu'elle a enduré, juste pour finir ici, aujourd'hui, sur ce banc. Elle laisse couler ses larmes, mais ces larmes n'étaient pas de celles que la douleur seule fait répandre, ces larmes étaient des larmes de colère, d'une couleur maladive, grossière, méchante, une colère envers elle, pour ne pas s'être révoltée, pour n'avoir rien fait.

Elle songe un instant à se laisser couler dans l'eau, à disparaître, totalement, couler dans les profondeurs de son âme, mais elle se ravise. Elle se ravise toujours. Quelqu'un l'attend à la maison, elle ne peut pas l'abandonner, elle ne peut pas. Comment il ferait sans elle ? Hein ? Comment il ferait ? Il n'a jamais su faire sans elle, jamais. Sans elle il serait mort, il serait mort parce que sans elle il n'est rien. C'est ce qu'elle se répète tous les jours, pour se rassurer, pour se dire que tout va bien.

Elle s'éloigne du lac, et se baisse lentement, elle se baisse et ramasse des fleurs, des fleurs champêtres qui parcourt les bords du lac. Elle ramasse des pâquerettes, des coquelicots, des boutons d'or, des pissenlits, des bourraches, des mauves, des fumeterres et des cosmos, elle ramasse beaucoup de cosmos, parce que ce sont les plus belles, les plus colorées, les plus joyeuses, les plus vivantes. Elle se colle un sourire sur son visage, un sourire faux de vieille femme, parce que les vieilles femmes elles sont joyeuses, les vieilles femmes elles sont heureuses, c'est comme ça et puis c'est tout. Les vieilles femmes elles sont là pour remonter le moral, parce que c'est leur rôle, alors elle me regarde et elle me sourit, parce qu'elle doit penser que j'en ai besoin. Et tout ce que j'ai envie de lui dire c'est que c'est pas la peine de faire semblant, parce que moi je le vois bien qu'elle souffre.

La vieille s'approche de moi, et elle me tend son bouquet, elle me donne son beau bouquet à moi, moi qui suis toute seule assise sur mon banc, elle me le donne en souriant. Alors moi aussi je lui souris, mais moi je lui souris vraiment, parce qu'elle, elle en a vraiment besoin, elle a besoin qu'on lui sourit. Et tout ce que j'espère pour cette vieille femme, c'est qu'on lui sourira quand elle rentrera chez elle.

Le BancOù les histoires vivent. Découvrez maintenant