VIII

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Je pense d'abord à me diriger vers un siège avant de réaliser que c'est une très mauvaise idée : comme personne ne me voit, quelqu'un pourrait très bien décider de s'asseoir exactement à l'endroit où je suis et étrangement, l'idée de me faire traverser par une personne inconnue ne me réjouis pas vraiment.

Bref, je décide donc de rester debout, juste à côté des barres prévues normalement pour se tenir. Hors de question que je pose mes mains délicates et soigneusement manucurées sur cette horreur. Savez-vous ma quantité astronomique de microbes que ce genre d'objet répugnant peut contenir ? Croyez-moi, vous n'avez pas envie de savoir.

Plus ou moins perdue dans mon observation minutieuse de la saleté omniprésente de ce bus crasseux, il me faut plusieurs minutes pour me rendre compte qu'une adolescente semble me fixer. Enfin, il est très peu probable qu'elle me voit. Peut-être regarde-t-elle tout simplement dans le vide. Elle ne voit sans doute d'un paysage grisâtre par la vitre sale sans même remarquer qu'une ravissante jeune femme se tient devant celle-ci.

Je me décale d'un pas vers la gauche, un peu gênée d'être si invisible. C'est alors que je remarque que les yeux de la fille bougent en même temps que moi. Je me décale encore, elle continue de me suivre du regard. Je change de place et elle ne me lâche toujours pas.

- Centre-ville, annonce la voix désarticulée du bus.

Sans même réfléchir, je me précipite dernière un troupeau de personnes descendant à cette arrêt. La fille du bus me suit toujours du regard et même lorsque les portes du bus se referment et qu'il poursuit sa route, elle me fixe le regard éteint par la vitre.

Une pensée me traverse alors l'esprit : peut-être est-elle morte elle aussi ?

Bref, Amanda, ce n'est pas l'heure de penser à tout ça. Trouve ce fichu conservatoire et qu'on en finisse !

Je suis arrivée dans une grande rue bordée de grandes bâtisses d'une autre époque. Je dois bien admettre que c'est beaucoup plus joli et agréable à regarder que tout ce que j'ai pu voir jusqu'ici. Liverpool n'est peut-être pas une ville si laide tout compte fait.

Enfin, je ne suis pas ici pour faire du tourisme, d'ailleurs il ne me serait jamais venue à l'idée de mon vivant de partir à la découverte de Liverpool, ça non, je préfère de loin les plages de sables fin de Rio de Janeiro, la mer dans les Caraïbes et les rues de Miami. Il faut que je me débarrasse de cette mission qui me pourrit la mort, il faut à tout prix que je trouve ce conservatoire.

Je décide alors de marcher droit devant moi, un peu au hasard. Je passe devant les vitrines de boutiques éteintes, devant des pubs qui sentent l'alcool jusque dehors, devant des jeunes adossées contre des murs et qui fument tranquillement. Je me demande si c'est un avantage de ne pas être vue. De mon vivant, quand j'allais faire une quelconque sortie, personne ne manquait de me remarquer, les regards se retournaient sur moi. Maintenant, je pourrais aussi bien me trimbaler toute nue, personne n'y verrait rien.

Je m'évertue à déambuler comme ça pendant encore plusieurs minutes. Mais pourquoi je n'ai pas demandé à cette sale gamine de me donner l'adresse de son foutu conservatoire ? Qu'est-ce que j'avais à l'esprit encore ?

Soudain, mon sauveur apparaît au détour d'une rue : un plan de la ville destiné au tourisme. Je cours vers lui et manque de me tordre la cheville au passage. Je cherche frénétiquement des yeux la pastille rouge avec la mention « vous êtes ici ». Je la trouve et passe rapidement en revue le reste des bâtiments aux alentours : musées, cathédrale, galerie d'art, dock, front de mer et enfin, le conservatoire. A environ deux pâtés de maison d'ici.

Fallen Angel - Tome I : AmandaOù les histoires vivent. Découvrez maintenant