Le Coeur Léger

143 26 1
                                    

XVI

Mardi, sept heures et vingt-six minutes

Je devais avoir onze ans quand un soir, on appela mon père pour lui dire qu’un ami à lui avait été retrouvé mort dans sa demeure. La nouvelle l’avait pris de court. J’ai encore dans ma tête les images de ma mère tenant mon père par le bras pour l’empêcher de chanceler. Un peu plus tard dans la nuit, un autre appel confirma les conditions dans lesquelles cet ami d’enfance avait trouvé la mort : il avait mis fin à ses jours d’une balle à la tête.

Ce fut la seule fois que je vis pleurer mon père. Je crois qu’après cela, il est devenu encore plus sombre qu’il ne l’était qu’avant. Je n’ai jamais été trop proche de ce dernier, mais je sais que cette histoire l’avait profondément affecté.

Ce fut également la toute première fois de ma vie que j’entendis parler de suicide. Bien sûr, avec l’éducation chrétienne que j’ai reçue, on nous apprend dès la tendre enfance à haïr cette forme d’alternative à la souffrance qui est pour certains de la lâcheté. Et si les gens avaient tout faux…

Je crois que les gens qui écourtent leurs vies ont une raison bien spécifique, aussi triste qu’elle puisse être. Certains diront qu’ils ont peur d’affronter la vie, d’autres avanceront que c’est le résultat de longues nuits de souffrance. Moi je crois que la solitude est en grande partie responsable.

Je fais allusion à ce vide qui nous habite souvent, ce sentiment d’être seul face aux problèmes et de n’avoir personne sur qui compter. J’ai connu ce labyrinthe et je suis parfaitement au courant de ce que ça fait. De savoir que personne ne vous viendra en aide, parce que personne ne sait ce que vous êtes en train de vivre…

Le taxi qui s’arrête devant la grande barrière de mon établissement m’arrache de mes pensées. J’ai passé la nuit à faire des recherches sur le suicide et ça m’intrigue autant qu’elle me terrifie. Je pénètre l’établissement et me dirige rapidement vers le secondaire. Je cherche un visage en particulier : celui de Victor.

Je veux savoir. Cela m’intéresse de savoir ce qu’il a vécu. Je suis après tout responsable de ce qui lui est arrivé.

Je le vois, tout seul, debout près de la classe de terminale A. Je me dirige vers sa direction, il est particulièrement surpris quand je le salue et encore plus quand je lui tends la main.

« Hier tu es parti en courant… J’ai dit quelque chose qui t’a dérangé ? »

J’hésite un instant avant de lui répondre :

« Je m’excuse Victor… sinon, on pourrait continuer à travailler sur le thème après les cours ? »

Il passe une main dans ses cheveux soigneusement brossés, puis me répond :

« Pourquoi pas pendant la récré ? On profiterait pour en parler à la cafétéria. J’ai rendez-vous ailleurs après les cours. »

Je n’y vois aucun inconvénient. Alors on se donne rendez-vous à la récréation.

« D’accord, toute cette histoire de fête me stresse terriblement… »

Il rit, puis tente de me rassurer :

« Calme-toi vieux, nous sommes en train de préparer la meilleure soirée que cette école aura la chance de vivre ! »

                          ***

Mardi, Midi et dix minutes

Deux filles de la classe de terminale nous dévisagent, moi et Victor de là où nous sommes assis au fond de la cafétéria. Je n’ose imaginer les tonnes d’idioties qu’elles doivent être en train de déblatérer à notre sujet. Victor l’a aussi remarqué mais ne dit rien. Il continue à manger silencieusement. Au bout de quelques instants, je brise le silence en lui demandant :

Sanon IVOù les histoires vivent. Découvrez maintenant